L'ACTU.
Le 27 octobre 2024, le gouvernement a rendu public ses pistes pour économiser 1,2 milliard d’euros en augmentant les jours de carence dans la fonction publique en cas d’arrêt maladie. Les jours de carence passeraient à 3 contre 1 aujourd'hui. Néanmoins, les exceptions prévues par la loi seront respectées (grossesse, affection de longue durée, accidents de service, invalidité, maladies graves…) qui ne comportent aucun jour de carence. Pour faire 1,2 milliard d’euros d’économies, l’État projette également de plafonner à 90 % de la rémunération les trois premiers mois d’un congé maladie ordinaire, contre 100 % à l’heure actuelle.
À la rentrée 2024, l'Inspection générale des affaires sociales préconisait plusieurs pistes, notamment pour la fonction publique, d'augmenter de 2 à 3 jours le délai de carence. Le gouvernement semble suivre cette préconisation. Les mesures seront prises par voie d’amendements au projet de loi de finances 2025 et font partie de l’effort de 60 milliards d’euros pour ramener le déficit à 5 % du PIB.
LES ARCHIVES.
La suppression d'un jour de carence en cas d'arrêt maladie est un « marronnier » de la politique sociale. Un refrain récurrent. Le premier à en avoir parlé est Nicolas Sarkozy. En 2011, le débat était lancé comme on le voit dans l'archive en tête d'article : « aujourd'hui, les fonctionnaires sont payés par la Sécurité sociale dès leur premier jour d'arrêt, demain, ils ne percevraient aucune rémunération pour ce premier jour qui deviendrait un jour de carence. Objectif : faire des économies et prendre exemple sur le privé... ».
En 2011, les fraudes à l'arrêt de travail étaient nombreuses. Dans sa chasse aux abus, le président proposait d'imposer un jour de carence aux fonctionnaires. Jusqu'alors, ils ne perdaient aucun jour de salaire contre trois jours non indemnisés dans le privé. Côté parlementaire, des députés appelaient à l'uniformisation des deux systèmes, oubliant un détail jamais mentionné dans l'archive et pourtant essentielle pour comprendre le débat : l’existence d'accords d'entreprises dans le privé qui permettaient de prendre le relais de la Sécurité sociale et de payer les jours carencés à une grande majorité des employés du privé. D'autres archives y reviendront plus tard.
Le projet de réforme faisait bondir les syndicats. Pour la CGT, si une réforme plus globale était nécessaire, elle ne devait pas passer par « piquer un jour aux fonctionnaires et trois jours aux salariés du privé ». Le gouvernement qui voulait « serrer la vis » envisageait même de passer de 3 à 4 jours dans le privé.
Cette mesure devait permettre de gagner 220 millions d'euros. Le 14 novembre 2011, un amendement devait être déposé à l'Assemblée nationale et le 12-13 de FR3 faisait le point sur les congés maladies de courte durée. Une archive à regarder en tête d'article.
Des Français partagés
Ce même jour, dans le 20 heures d'Antenne 2, les Français interrogés hésitaient entre soutien et incompréhension. Dans ce sujet, le commentaire expliquait que les fonctionnaires étaient plus malades que les autres : « 11 jours dans le privé contre 13 pour la fonction publique d’État et 22,8 jours pour la fonction publique territoriale », sans expliquer l'origine de cette différence. Pour les syndicats, ce projet stigmatisait avant tout les fonctionnaires.
Projet d'instauration d'un jour de carence pour les fonctionnaires
2011 - 01:51 - vidéo
Des passants : « C'est à déplorer parce que je trouve que quand on est en arrête maladie, généralement, c'est justifié et qu'on n'a pas à être imputés sur notre salaire pour cette raison » ; « Si ça peut arranger le budget de l'État pourquoi pas ? » ; « Oui, c'est une bonne chose, parce que c'est vrai qu'en tant que fonctionnaire, on a des privilèges par rapport au privé »
Haro sur les fonctionnaires
La stigmatisation évoquée précédemment est illustrée par l'archive ci-dessous à travers les propos de Dominique Tian, député UMP des Bouches-du-Rhône, qui travaillait sur le sujet des arrêts de travail depuis plusieurs années et devait accompagner Nicolas Sarkozy lors de la présentation officielle de son projet le 15 novembre 2011. En duplex depuis l'Assemblée nationale, il défendait l'alignement du secteur public sur le secteur privé pour l'indemnisation des jours d'arrêts maladies.
Pour le député engagé contre la fraude sociale, il s'agissait d'une mesure contre les abus des fonctionnaires, soulignant que les salariés du privé étaient moins malades, avec « 11 jours » seulement, alors que les agents territoriaux alignaient « plus de 20 jours d'arrêts ». Il interrogeait : « Comment peut-on tolérer ça ? ».
À David Pujadas qui lui suggérait qu'ils étaient peut-être plus âgés aussi, Dominique Tian rétorquait : « Mais non ! Ils sont au contraire plus jeunes. C'est ça la différence. Ces fonctionnaires n'ont pas de sanctions financières quand ils sont en arrêt de travail ». Il se lançait ensuite dans une diatribe contre les fonctionnaires : « En plus, quand on regarde les périodes, ça correspond souvent aux périodes scolaires, ça correspond aux ponts du mois de mai. Il y a des pics d'absentéisme.»
Duplex : Dominique Tian à l'Assemblée nationale
2011 - 02:11 - vidéo
« Chacun sait que dans la fonction publique hospitalière, l'absentéisme en quelque sorte est inscrit dans le contrat de travail. Et donc ça n'est pas acceptable ». Il poursuivait, cette fois envers la fonction publique territoriale, « et notamment, le cas de la fonction publique territoriale devient extrêmement dérangeant. Je demande donc l'égalité entre le public et le privé. Trois jours de carence dans le privé, trois jours de carence dans le public. Je crois que c'est une mesure d'égalité entre les uns et les autres ».
Le privé mis à contribution lui aussi
Le 15 novembre, Nicolas Sarkozy annonçait officiellement le durcissement des règles : un jour de carence pour les fonctionnaires, mais un jour supplémentaire - soit 4 jours - pour le privé.
Le 20 heures de France 2 faisait le point des réactions. La mesure passait mal. Du côté des fonctionnaires, sans surprise, le sentiment était clairement à l'incompréhension face à la stigmatisation. Dans le privé, la journée supplémentaire non payée par la Sécurité sociale était mal perçue. Ainsi un employé du privé interrogé à Poitiers déclarait : « On oppose le public au privé, mais on est tous des salariés et les premières mesures devraient être des mesures d'équité qui devraient toucher d'abord les membres du gouvernement et les députés. »
À l'Assemblée, les députés de l'opposition jugeaient que Nicolas Sarkozy se trompait de cible. Ils déploraient une promesse électoraliste et une course vers les voix du Front national. Marisol Touraine, députée PS, regrettait la stigmatisation des malades soupçonnés d'être des fraudeurs en puissance, avant de lancer une petite phrase : « agitation, stigmatisation, mais pas d'action. ».
Côté UMP, on parlait de « justice pour tous », le député UMP Jacques Myard de répéter : « il ne s'agit pas de taper sur l'un sans taper sur l'autre, il faut remettre tout le monde dans la norme. »
Réactions à l'annonce des jours de carence supplémentaires
2011 - 02:13 - vidéo
« Je pense que c'est un peu facile, il y a toujours ses réactions-là vis-à-vis des fonctionnaires. Mais ceux qui font les polémiques devraient un peu mieux connaître les fonctionnaires ; « Quand vous n'avez pas d'augmentation depuis 2 ans, il faut être vraiment motivé pour continuer à travailler au service de l’État ». (Des fonctionnaires)
Fait rarissime, le texte sera voté en urgence par l'Assemblée nationale en 2 jours, dès le 16 novembre. L'archive ci-dessous décrit les conséquences de la réforme pour le public et le privé. La secrétaire UNSA fonction publique dénonçait une paupérisation générale et une fragilisation d'employés de la fonction publique déjà en souffrance. En effet, pour les fonctionnaires, le jour de carence représentait entre 80 et 82 euros par arrêt de travail, une somme conséquente pour de petits salaires.
Dans le privé, les conséquences seraient différentes selon les entreprises. Dans les entreprises privées, la mesure n'aurait pas le même impact sur les grands groupes avec des conventions collectives prenant en charge les jours de carence - c'était le cas pour environ la moitié des salariés en France - et les PME, sans accords. Ces dernières dénonçaient une injustice et une absence d'équité objective. Une autre crainte émergeait : celle des médecins qui craignaient que les salariés renoncent à se soigner. Un phénomène qui tendait à se développer.
L'Assemblée Nationale vote la réforme des arrêts maladie
2011 - 01:38 - vidéo
Mobilisation des salariés et rétropédalage de l’État
Sous la pression des PME, le gouvernement allait revenir sur le quatrième jour imputé au privé. Un an après le vote, en janvier 2013, les fonctionnaires défilaient partout en France. S'ils réclamaient l'arrêt du gel des salaires, ils demandaient aussi l'abrogation du jour de carence non payé.
Un reportage du 20 heures de France 2 dressait le bilan de cette première année. Il évoquait une tendance émergente, celle des salariés qui ne se soignaient plus et qui se rendaient malades au travail malade, plutôt que de perdre une journée de salaire. En revanche, la mesure semblait efficace à l'hôpital, où on était passé de 11 jours à 10 jours d'arrêt en moyenne. « Au total une économie de 75 millions d'euros réalisée en 2012 ». Un bilan jugé positif par les directeurs d'hôpitaux publics.
Fonctionnaires : La fin du jour de carence ?
2013 - 01:58 - vidéo
« Vous vous sentez punis... on aime notre travail, on aime servir la population, on n'est pas des feignants et là, c'est très insultant pour nous ». (Une manifestante)
La gauche abroge la mesure
Il faudra attendre l'arrivée de François Hollande au pouvoir pour que la situation évolue. En février 2013, sa ministre de la Réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Fonction publique Marylise Lebranchu supprimait le jour de carence des fonctionnaires qu'elle jugeait « injuste, inutile, inefficace et humiliant » et abrogeait la loi. Pour la majorité, c'était la fin d'une injustice, mais pour l'opposition, une mesure électoraliste en période de rigueur budgétaire.
Du côté des fonctionnaires, seule la fonction hospitalière, qui avait noté une diminution des absences de 7%, déplorait la décision du gouvernement de supprimer ce moyen dissuasif. L'archive ci-dessous montre cette ambivalence. Gérard Vincent de la fédération hospitalière de France confiait son désarroi et parlait d'erreur : « On est très déçu parce qu'on a alerté les pouvoirs publics à tous les niveaux, ministère de la fonction publique, ministère de la Santé, Matignon, l’Élysée sur le caractère bénéfique que cette mesure avait apporté, pour les patients et pour le personnel. On considère que c'est un retour en arrière. »
Quant aux syndicats, ils se réjouissaient de la décision, soulignant à nouveau le préjudice porté par cette réforme pour les vrais malades. Christian Grolier, secrétaire général de FO, d'expliquer : « Il y a une telle paupérisation, une telle baisse du pouvoir d'achat dans la fonction publique, que des fonctionnaires malades allaient travailler pour être payés. Du coup, vous alliez malade travailler à l'hôpital. Vous imaginez ce que ça pouvait avoir comme conséquence sur des patients qui veulent se soigner. »
Le gouvernement abroge le jour de carence des fonctionnaires
2013 - 01:53 - vidéo
Emmanuel Macron rétablit le jour de carence
Le jour de carence pour les fonctionnaires ressurgit dans le débat public avec l'élection d’Emmanuel Macron, au nom des dépenses publiques et de l'équité public-privé. La suppression d'un jour est une promesse de campagne. En juillet 2017, Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes publics, annonçait l’imminence de son retour pour 2018. Dans l'archive à suivre, il est expliqué que l'absentéisme des agents publics coûtait trop cher : 170 millions d'euros par an. Les syndicats dénonçaient une nouvelle fois une mesure inefficace et démagogique.
Rétablissement du jour de carence pour les fonctionnaires en arrêt de travail
2017 - 01:22 - vidéo
« Nous allons proposer - c'est les parlementaires qui le décideront - que nous puissions rétablir une journée de carence afin de rétablir de l'équité entre le public et le privé ».
Sans surprise, les réactions furent partagées. Du côté de la droite, on approuvait ce premier pas positif, les syndicats réprouvaient cette annonce qui s'ajoutait à celles du gel du point d'indice et de la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires. Ils dénonçaient les vieux arguments utilisés pour justifier du retour du jour de carence : le cliché classique de la fainéantise des fonctionnaires et de la mauvaise gestion financière du secteur public qui coûterait cher à la société. « C'est insupportable » s'indignait Bernadette Groizon du syndicat FSU.
Les fonctionnaires descendent dans la rue
La réaction ne se fit pas attendre. Le 10 octobre 2017, les fonctionnaires descendaient dans la rue pour crier leur mécontentement. D'autres points d'achoppement étaient au cœur des revendications : de meilleures conditions de travail, plus de pouvoir d'achat, une augmentation des effectifs et moins de précarité des emplois. Tous avaient répondu à l'appel unitaire de leurs 9 syndicats, une première depuis dix ans.
Le 19-20 de France 3 laissait la parole aux manifestants. Parmi les témoignages, des éboueurs, des infirmières, des professeurs ou des chercheurs exprimaient de la colère, de l'incompréhension, du désarroi, de la conscience professionnelle, du manque de reconnaissance et un désespoir sous-jacent.
Manifestation des fonctionnaires
2017 - 02:31 - vidéo
« Ça fait presque 20 ans qu'on n'a pas eu d'augmentation de salaire... » (un éboueur) ; « J'ai l'éthique du service public et aujourd'hui, on est en train de faire de l'hôpital une entreprise marchande où on est plus en capacité de soigner les patients. On demande au personnel l’inacceptable, avec une suppression de moyens intolérables... » (Une puéricultrice) ; « au quotidien, nos conditions de travail sont impossibles pour travailler dans de bonnes conditions, surtout pour nos élèves... » (un professeur) ; « on n'a plus d'argent pour recruter des fonctionnaires dans la recherche et des personnels stables. On recrute des CDD qu'on jette au bout de 3 à 6 ans. On perd tous les savoirs-faire... » (une chercheuse du CNRS)
En mars 2018, les fonctionnaires descendaient une seconde fois dans la rue pour dénoncer la réduction des effectifs. Le gouvernement avait évoqué des plans de départs volontaires. Quant au jour de carence, certains l'estimaient extrêmement dangereux, car il incitait les fonctionnaires (et 1/4 des salariés du privé) fragiles à continuer à travailler, même malades, avec des risques de burn-out à la clé.
Manifestation des fonctionnaires : les raisons de la colère
2018 - 02:33 - vidéo
« Un fonctionnaire de catégorie C, payé 1200 euros net en région parisienne, ne peut pas supporter un jour de carence ». (un manifestant)
Au-delà des clichés : public-privé, un même combat
En 2019, malgré le retour du jour de carence, le nombre des arrêts maladie avait bondi de 15% en 7 ans. En février, le gouvernement d’Édouard Philippe durcissait encore le ton, mais cette fois en direction du privé. S'il n'était pas question de revenir sur sa décision d'imposer un jour de carence aux fonctionnaires, le gouvernement s'était aperçu que dans le privé, les deux tiers des accords d'entreprises remboursaient en réalité les salariés dès le premier jour de l'arrêt. De fait, cette situation entraînait une augmentation des arrêts et une injustice vis-à-vis des fonctionnaires, les seuls à véritablement subir un jour de carence tout en étant moins payés que dans le privé : la double peine. L'inégalité n'était pas celle que les dirigeants politiques proclamait depuis des années.
Un rapport remis au Premier ministre préconisait donc d'imposer un jour obligatoire à tout le monde. Ce qui signifiait d'obliger les entreprises à renoncer au remboursement du premier jour d'absence pour maladie en échange de contreparties pour les plus petites entreprises, les CDD, les contrats de moins d'un an ou le service à la personne. Le reportage du 20 heures de France 2, disponible ci-dessous, prenait le pouls dans des entreprises privées. Sans surprise, cette « mesure d'équité » n'obtenait pas l'adhésion des interrogés.
Arrêts maladie : un jour de carence pour tous ?
2019 - 02:13 - vidéo
Le 21 février 2019, une étude de l'INSEE révélait que la mise en place d'un jour pour tous aurait en réalité peu d'effet sur les finances publiques, avec un effet dissuasif minime.
Effet relatif confirmé en novembre 2020 par un bilan d'impact du jour de carence des arrêts maladie dans la fonction publique. Ce bila, évoqué ci-dessous, confirmait une baisse légère du nombre d'arrêts maladie, moins fréquents, mais des absences plus longues, notamment en raison du vieillissement des effectifs. Ainsi, le coût des arrêts maladie continuait à augmenter. La mise en place du jour de carence n'avait pas permis d'inverser la tendance.
Arrêt maladie : l'impact du jour de carence
2020 - 01:54 - vidéo
L'annonce de passer de 1 jour de carence à 3 n'a rien d'étonnant aux vues des précédentes réformes évoquées dans les archives. Pour justifier son choix, le gouvernement souligne que le taux d'absentéisme a augmenté dans la fonction publique. « En dix ans, le nombre de jours d’absence est passé de 43 millions de jours en 2014 à 77 millions de jours en 2022, ce qui représente une augmentation de près de 80 % ». En mai 2024, dans son bilan, la Cour des comptes allait encore plus loin, suggérant de ne plus indemniser les arrêts de moins de 8 jours.
Dans son bilan du 9 septembre 2024, la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) soulignait une forte augmentation des dépenses liées aux arrêts maladie. Mais l'organisme pointait surtout l'inflation qui a entraîné la hausse du SMIC et des indemnités journalières. À elle seule, elle serait responsable à 39% de la hausse du coût des arrêts de travail depuis 2019. Dès septembre 2024 a émergé la volonté de revoir la couverture des arrêts maladie.
Quel sera l'impact de ce nouveau durcissement sur le coût des arrêts médicaux ? Et quelles conséquences aura-t-il sur l'état de santé des fonctionnaires et des salariés de manière plus globale ? Le débat reste posé pour de nombreuses années encore.