« J’avais bien conscience de l’interdit d’en parler. En fait, l’interdit de l’inceste, c’est pas l’interdit de le faire. C’est l’interdit d’en parler » : Eva Thomas est l’une des premières victimes d’inceste à avoir témoigné à visage découvert. C’était en 1986, sur le plateau de l’émission « Les dossiers de l’écran » d'Antenne 2. « Si vous voulez, cela n’a aucun sens si votre père devient votre amant une nuit, pour redevenir votre père le lendemain matin, sans qu'un seul mot ne soit prononcé », dénonçait-elle.
Eva Thomas a mis du temps avant de se souvenir de ce viol, raconte-t-elle à l'INA : « Heureusement, j’ai été agressée à 15 ans parce que pour les personnes qui ont été agressées beaucoup plus jeunes, l’amnésie est beaucoup plus importante. Moi, j’étais quand même sûre qu’il s’était passé quelque chose. »
Au moment de son témoignage à la télé, elle venait de fonder l’association « SOS Inceste » et de sortir un livre Le viol du silence, dans lequel elle brisait l’omerta. « J’ai tout de suite dit que je ne voulais pas qu’on me cache. Je veux parler à visage découvert parce que je veux dire ce que j’ai vécu, pour que les autres puissent parler aussi. Ce qui me semblait important, c’était de créer un réseau de parole, de se rencontrer entre nous. C’était ça qui me semblait important », raconte-t-elle.
Permettre à d'autres victimes de se livrer
Son témoignage avait entraîné des réactions de téléspectateurs : « Un ingénieur qui dit avoir des relations quotidiennes avec sa fille de 13 ans. Pourquoi empêchez-vous les gens d’être heureux ? Un agent technique qui dit où commence et finit l’inceste ? J’ai une fille de 10 ans que j’aime caresser et je me demande si mes pulsions sont coupables. »
Des commentaires sur lesquels Eva Thomas revient : « C’était le discours général. Et même à l’association, une fois, je suis tombé sur un homme qui a téléphoné. Il me dit “mais pourquoi vous nous embêtez avec ça ?" Il disait exactement ce que disait cet homme dans l’émission. “Moi je suis heureux avec ma fille.” Je lui demande ce qu’il fait avec sa fille. Je le fais parler et je lui dis que ça vaut 10 ans de prison. C’est interdit par la loi ! Alors, il a raccroché. »
Le témoignage d’Eva Thomas a permis à d’autres victimes de se livrer : « Quand je parlais après dans d’autres émissions, j’étais portée par toutes les autres qui avaient témoigné. Je me sentais la porte-parole de celles qui nous avaient écrit. D’ailleurs, dans des lettres, des femmes me demandaient de lire leur lettre à la radio », raconte-t-elle.
Aujourd’hui, Eva Thomas est membre de la Ciivise, la commission sur l’inceste. Elle porte ce message d’espoir : « Si vous trouvez les bonnes aides, vous aurez une belle vie. On n'est pas victime à vie, c’est juste un passage extrêmement douloureux. Mais croyez que la vie, elle vous attend. Elle est aussi pleine de cadeaux et de surprises. »
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