L'ACTU.
Dans son allocution sur la crise immobilière du 5 juin 2023, Elisabeth Borne a déclaré vouloir « accélérer la lutte contre l’habitat indigne » pour « permettre à chacun de pouvoir se loger dignement ». Reçu sur franceinfo le matin même, le ministre délégué à la Ville et au Logement, Olivier Klein, avait reconnu qu'il y avait « un risque de bombe sociale » lié à la crise qui secoue le secteur immobilier depuis plusieurs mois.
Les mesures envisagées devraient permettre de favoriser l'accession à la propriété et à la location, de soutenir la production et la rénovation de logements sociaux, de relancer la construction et d'amplifier la rénovation énergétique du parc privé.
La situation qualifiée de gravissime par les professionnels de l'immobilier est une crise multifactorielle : construction de logements, achat, ventes de biens et location. Le rapport du site Bien ici (il regroupe les annonces immobilières des principales agences françaises), montre que le nombre des logements à la location a baissé de 50% entre 2019 et 2023. En cause, l'interdiction de louer les logements ne respectant pas les nouvelles normes énergétiques (classés G, depuis le 1er janvier 2023). Même constat du côté de l’achat, la hausse des taux d’intérêt interdisant la primo-accession et limitant nombre de projets d'acquisitions.
L’accession au logement social est aussi bloquée, avec un nombre de constructions inférieur aux objectifs. Selon le 38e rapport sur le mal-logement de la fondation Abbé Pierre, 2,3 millions de ménages précaires sont en attente de logement social et 3,8 millions de personnes souffrent de mal-logement ou d'absence de logement personnel. Plus largement, près de 12 millions de personnes sont touchées à des degrés divers par la crise du logement.
Malgré les efforts des gouvernements successifs pour résoudre la problématique du logement en France, ces chiffres ne sont pas sans rappeler ceux que la fondation Abbé Pierre donnait à la fin des années 1970, comme le montre l’archive en tête d’article.
L'ARCHIVE.
Dans ce sujet diffusé dans le JT de TF1 en juillet 1977, la fondation relevait un chiffre quasiment identique à celui de 2023 : 4 millions de familles étaient mal logées, à l’époque, alors que 2 millions de logements étaient vides. Face à la crise immobilière, le gouvernement annonçait un train de mesures en faveur du logement.
C’est le président de la République en personne, Valéry Giscard d’Estaing, qui devait s’exprimer le lendemain depuis Orléans, dans le Loiret, où l'on expérimentait alors la réforme des aides au logement votée en décembre 1976. Orléans était l’une des villes où le rythme de construction était le plus élevé de France, les logements individuels y représentaient « plus de 80 % des constructions ». Le chef de l’Etat devait également faire le bilan des réformes engagées en matière d'habitat depuis trois ans, notamment celles qui concernent l'accession à la propriété.
Le journaliste Jacques Poux rappelait que des progrès avaient été faits depuis l’hiver 1954, l'année où l’abbé Pierre avait lancé son célèbre appel en faveur des sans abri, pourtant, les efforts étaient toujours insuffisants : « Partout en France, on a construit pour parer au plus pressé et les parallélépipèdes avec salles de bain, WC intérieur, ont peuplé peu à peu les quartiers périphériques des villes et sont partis à l'assaut des banlieues ».
La crise du logement paraissait résorbée et les efforts entrepris avaient, semble-t-il, mis la France au premier plan des pays européens pour le nombre de logements construits par habitant. Pourtant, d'après le journaliste, ce n’était qu’une apparence. Jacques Roux, avec une certaine ironie, brossait un tableau moins idyllique des grands projets construits à cette époque : « d'abord, il y a ces 4 millions de familles mal logées. Et puis l'exode des plus démunis, chassés du centre des villes vers des banlieues sans âme. Il y a ces cités, cages à lapins où l'on vit, où l'on survit, plutôt victime des fantasmes et élucubrations parfois sadomasochistes d'architectes en mal d'originalité. » Il critiquait ouvertement les emplacements choisis pour cette révolution urbanistique, appuyant sur un point sensible, celui des transports, « de plus en plus longs, de plus en plus contraignants entre l'habitation et le lieu de travail, perte de temps, de sommeil, d'énergie ».
Jacques Poux concédait que le gouvernement avait fait des efforts en matière de lutte contre la spéculation financière, avec la mise en place de l'aide personnalisée au logement qui tentait de « favoriser les ménages les plus démunis pour leur permettre d'accéder à la copropriété ou d'améliorer leur cadre de vie ».
L’insatisfaction ne portait pas vraiment sur le manque de logement concluait-il, mais sur l’évolution des mentalités des Français : « l'explication, c'est que, le niveau de vie aidant, les Français ont changé. Ils ne veulent plus seulement des logements, mais des appartements. Et il y a, croyez-moi, une grande différence entre les deux ». Il ajoutait en guise de conclusion une formule non dénuée d’humour, affirmant, « en France, il en est du logement comme du vin. Les Français veulent, non plus maintenant, la quantité mais la qualité ».
La fin de la défiscalisation ?
À partir des années 1980, les gouvernements ont favorisé des dispositifs des défiscalisation pour relancer ou vivifier le marché locatif. Le principe était toujours le même : permettre une défiscalisation associée à des contreparties sociales. Quelques archives ci-dessous reviennent sur les différents dispositifs.
Parmi les mesures annoncées par Elisabeth Borne, il y a la suppression du dernier dispositif de défiscalisation en date, le « Pinel », mis en place en 2014. Il fait partie de la longue liste des dispositifs qui se sont succédés, sous des noms différents depuis quatre décénnies.
Cette année-là, un nouveau plan est annoncé par le Premier ministre Manuel Valls. Le dispositif fiscal portera donc le nom de loi Pinel, en référence à la ministre du logement Sylvia Pinel. Il s'agit en fait de rebaptiser l'ancienne loi Duflot qui permet à l'acheteur d'un logement neuf de le louer à un membre de sa famille. Sylvia Pinel décrit les améliorations apportées au PTZ (Prêt à Taux Zéro) destiné aux ménages les plus modestes.
Les plans précédents
Les mesures de 2023
- Prolongation fortement restreinte du prêt à taux zéro (PTZ)
- Fin du dispositif Pinel d'investissement locatif
- Aides à la location et soutien à la construction via le rachat de logements aux promoteurs par Action logement et la Caisse des dépôts
- Remise à plat de la fiscalité des locations, notamment des meublés touristiques accusés d'aggraver la crise du logement
- « Travailler au recours au droit de préemption par les collectivités » pour enrayer la spéculation foncière...
Les mesures annoncées le 5 juin par le gouvernement ne semblent pas avoir convaincu le secteur de l'immobilier. « Il n'y a rien qui change la donne dans ce plan, qui est minimaliste, imprécis. Il n'y a pas ce coup de pied qui nous permette de remonter vers le haut de la piscine », a déclaré Véronique Bédague, PDG de Nexity, premier promoteur immobilier et co-animatrice du CNR.
Même déception du côté d'Olivier Salleron, le président de la Fédération française du bâtiment (FFB), qui a déclaré au Figaro : « Il n’y a pas de prise de conscience et pas de stratégie. Nous avons travaillé six mois et aucune de nos propositions n’a été retenue. »