Aller au contenu principal
Au cœur de deux hivers où la solidarité avait été grande avec les sans-abris

Au cœur de deux hivers où la solidarité avait été grande avec les sans-abris

L’épisode de froid qui touche actuellement la France est difficile pour les sans-abris. Au moins deux personnes ont trouvé la mort en France depuis le 8 janvier. Manque de places d’accueil, insuffisance de politique sociale et de moyens... La situation est plus que jamais tendue. En 1985, alors qu'une terrible vague de froid touchait la France, un immense élan de solidarité avait permis aux démunis de dormir au chaud.

Par Florence Dartois - Publié le 12.01.2024
 

L'ACTU.

Au moins deux sans abris ont trouvé la mort depuis le 8 janvier en France à cause du froid. Une femme sans domicile fixe d’une soixantaine d’années a été découverte morte dans une rue de Carpentras (Vaucluse). Un homme sans abri, également âgé d’une soixantaine d’années, a été retrouvé mort dans une cave de Boulogne-Billancourt dans les Hauts-de-Seine. Ces deux drames révèlent l'ampleur des besoins.

Bien que 120 millions d’euros aient été débloqués par le gouvernement pour des places d’hébergement d’urgence, la mesure ne satisfait pas. « C’est une bonne nouvelle [mais] ça ne suffit pas de débloquer une enveloppe, il faut faire le boulot et mettre en place des cellules d’urgence », a déploré le délégué général de la fondation Abbé Pierre.

Selon le collectif « Morts dans la rue », au moins 624 personnes vivant dans la rue ou en structures d’hébergement provisoire sont décédées en 2022. Le chiffre n’est pas connu pour l’année 2023.

La situation reste critique malgré la promesse d'Emmanuel Macron le 27 juillet 2017 lors de sa visite dans un centre d'hébergement de réfugiés à Orléans. À l'époque, abordant la question de l'accueil des migrants en France, il avait évoqué la nécessité de fournir des hébergements dignes : « La première bataille, c'est de loger tout le monde dignement. Je ne veux plus, d'ici à la fin de l'année, avoir des femmes et des hommes dans les rues... » Il parlait des migrants, mais soulignait de fait le manque de structures d'accueil d'urgence.

En hiver, lorsque les températures passent sous zéro, cette carence peut devenir mortelle. Dans nos archives, nous avons retrouvé deux hivers exceptionnellement froids, où, grâce à la solidarité, les sans-abris avaient pu s'abriter. Il ne s'agit pas du fameux hiver 1954, au cours duquel l'abbé Pierre avait appelé à « l'insurrection de la bonté », mais du mois de janvier 1985 par lequel nous allons entamer cette incursion dans le passé.

LES ARCHIVES.

Cet hiver-là, le thermomètre battait des records partout en Europe. La vague de froid avait fait 11 victimes en France, pour la plupart des personnes âgées ou des sans abris. Dans le 13 heures de TF1, Claude Pierrard égrenait les températures relevées, « - 35° degrés dans le département du Doubs, (...) - 8° à Biarritz, - 5° à Cannes »

À Paris, les sans-abris dormaient dehors malgré les températures négatives. Comme aujourd'hui, on manquait de places. Ce reportage sur le vif est rare et particulièrement poignant, car il donne la parole à ces oubliés du bitume. Il en ressort un sentiment d'empathie qui n'est peut-être pas sans expliquer le mouvement de solidarité qui allait naître à la suite de sa diffusion. Ce reportage disponible en tête d'article date du 7 janvier 1985.

Sous une neige battante, des reporters de TF1 s’étaient rendus dans les rues de la capitale pour rencontrer ceux qui dormaient dans le froid. « Bien-sûr, la plupart sont à l’abri, accueillis par les centres d’hébergements qui font le plein ou recueillis par les services de police pendant cette dure saison », rassurait le commentaire comme pour atténuer la violence du contexte.

Ceux qui avaient accepté de répondre aux journalistes n’avaient « pas pu ou pas voulu être hébergés ». C’est « sous la surface de la ville », invisibles, qu’ils tentaient de survivre. Telle une femme seule qui faisait réchauffer un ragout sur un réchaud de circonstance « dans un tunnel routier près de la gare de Lyon ». Le froid n’avait pas engourdi son sens de l’humour lorsqu’elle affirmait avec ironie, « c’est mon petit pavillon privé ». La gare était le seul endroit ouvert, pour se « mettre au chaud ».

D’autres SDF se pelotonnaient sous des remparts en cartons de fortune. Ils étaient là sous un pont ou sur les rives de la Seine, une cachette où ils espéraient bien « échapper aux bleus ». Parfois, l’accueil n’était pas celui attendu par les journalistes, mais ils ne se formalisaient pas des réactions agressives qui conféraient à la caméra un caractère voyeuriste : « Allez filmer ailleurs… », « - Il dort. - Ben alors pourquoi vous le filmez ? »

Certains avaient si froid qu’ils restaient debout à alimenter un feu de fortune à l’aide de cagettes. Et puis, il y avait ce naufragé de la nuit : « Je suis électricien, mais vu mon âge, j’ai de grandes difficultés à trouver du travail. On me rejette partout ». Cet homme au regard doux acceptait de partager son histoire : le chômage, l’impossibilité de payer un logement ou de trouver un centre d’hébergement d’urgence. Restait les flammes d’un feu de fortune pour se réchauffer les pieds. À 47 ans.

La solidarité s'organise à Paris

Le lendemain, un nouveau reportage revenait sur le sujet. Il avait été filmé dans la nuit du 8 au 9 décembre 1985. « Dans cette période difficile, les plus démunis sont tout simplement en danger. Le froid a tué plus de 50 personnes en Europe ces derniers jours. Pour éviter de nouveaux drames, la solidarité joue », déclarait Geneviève Guicheney en ouverture du sujet qui va suivre.

La vague de froid exceptionnelle qui touchait l’Europe et la France prenait les autorités de court. Face à l’urgence, la RATP décidait d’ouvrir toutes les stations de métro. Une première ! Quant à la SNCF, elle ouvrait ses entrepôts pour protéger les plus démunis. Cet élan de solidarité était inédit, tant dans sa forme, son organisation que dans le nombre de places disponibles. L’armée, les associations caritatives et les établissements de transports publics unissaient leurs forces et leurs moyens pour mettre à l’abri ceux qui en avaient besoin.

Les images incroyables de ce sujet diffusé le 8 janvier dans le « Soir 3 » montre bien à quel point les moyens employés étaient considérables. Au 91 boulevard de la Gare, à Paris (13e arrondissement), une centaine de militaires aménageaient un hangar désaffecté et l’équipaient de centaines de lits et de couvertures, d’une vingtaine de poils et de WC de chantiers, en collaboration avec les équipes de l’abbé Pierre. Ce lieu sera mis à disposition des sans-abris « pour toute la durée des grands froids, précisait-on.

Le lendemain, la RATP organisait une opération similaire dans le métro, aux stations Luxembourg et Nation. Tous ces aménagements permettaient d’héberger 500 personnes.

La situation s'aggrave

Cette solidarité inédite fut de courte durée. Deux ans plus tard, en janvier 1987, un autre hiver rigoureux touchait à nouveau la France, et une nouvelle fois, les JT envoyaient leurs journalistes à la rencontre des sans-logis. Le thermomètre frisait les – 15° à Strasbourg et – 8° à Paris. Cette fois, la RATP n'avait pas ouvert de stations, ne souhaitant plus accueillir de démunis « pour cause d’hygiène » et considérant que ce n’était pas à elle « de suppléer à la carence de solidarité nationale ».

Dans le 20 heures, les démunis apparaissaient tantôt résignés tantôt révoltés. Si certains se contentaient de la soupe chaude que leur servait l’Armée du salut, d’autres réclamaient l’ouverture du métro qui aurait pu s’ajouter aux 5000 places d’accueil disponibles. « Faudrait bien qu’ils rouvrent le métro, nous on va crever », s'insurgeait l'un d'eux.

Froid : les sans-abri en danger
1987 - 02:48 - vidéo

Le lendemain, sans doute à la suite de la diffusion du sujet, la RATP annonçait l’ouverture des stations Mabillon et Sentier. Mais, contrairement à 1985, la solidarité n'irait pas plus loin. Et le reportage à regarder en fin d'article décrit bien le drame qui se joua dans les rues cet hiver-là.

La vague de froid persistante, quelques jours plus tard, le 16 janvier 1987, des reporters d'Antenne 2 avaient passé une nuit avec les démunis exclus des centres d’accueil. Un reportage poignant avec le portrait de deux chômeurs qui avaient établi leur refuge sur un quai de la Seine. Ils décrivaient leurs stratégies pour se chauffer : des piles de vêtements entassés, un feu de bois dehors ou « un petit coup de ça qui nous fait du bien », comprenez du vin rouge, disposé sur leur table de fortune. Un havre de paix glacé où résonnait, contre toute attente, un air de Cloclo…

Ceux qui, par pudeur, ne demandait pas d’aide, ceux qui refusaient les règles trop strictes des centres se regroupaient dans les quelques stations ouvertes, sur des bancs, où, à l'époque, on pouvait encore s'allonger. « Pour ceux-là, il n’y a pas une bouffée de chaleur sortie du ventre de Paris qui se perde ».

Le sujet s’achevait, comme en 1985, sur les corps de ces hommes, couchés à même le sol, parfois sur des bouches d’aération, dans la nuit glacée, attendant un meilleur lendemain.

S'orienter dans la galaxie INA

Vous êtes particulier, professionnel des médias, enseignant, journaliste... ? Découvrez les sites de l'INA conçus pour vous, suivez-nous sur les réseaux sociaux, inscrivez-vous à nos newsletters.

Suivre l'INA éclaire actu

Chaque jour, la rédaction vous propose une sélection de vidéos et des articles éditorialisés en résonance avec l'actualité sous toutes ses formes.