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La rencontre de Pierre Bonte avec Germaine, la poissonnière qui aimait chanter et danser

La rencontre de Pierre Bonte avec Germaine, la poissonnière qui aimait chanter et danser

Germaine, poissonnière de l'Hérault, exerçait en 1977 sur le marché de Montblanc, une bourgade languedocienne. Nous avons retrouvé dans nos archives le portrait que lui consacra Pierre Bonte. Ce journaliste amoureux des belles provinces et de leurs habitants a aujourd'hui 90 ans, et il n'a pas oublié Germaine. Il a accepté de nous raconter sa rencontre avec elle.

Par Florence Dartois - Publié le 20.04.2023 - Mis à jour le 15.05.2023
Germaine la poissonnière - 1977 - 05:14 - vidéo
 

LA PÉPITE.

L'archive que nous nous proposons de découvrir en tête d'article dresse le portrait d'un personnage haut en couleurs, celui de Germaine, poissonnière et artiste dans l'âme. Cette femme, qui débordait de joie de vivre, c'est Pierre Bonte qui l'avait rencontrée.

Le journaliste globe-trotter avait le don de magnifier des personnalités atypiques des régions du pays. Il officia de longues années dans le magazine dominical « Le Petit rapporteur » de Jacques Martin, puis à partir de 1977, dans « La Lorgnette », journal télévisé satirique diffusé tous les dimanches, et toujours animé par Jacques Martin. C'est dans le cadre de ce magazine qu'en mars 1977, il avait rencontré Germaine, une poissonnière vivant au Grau-d’Agde, petit village de pêcheurs situé à l'embouchure de l'Hérault, entre port et mer. Une commerçante qui vendait son poisson sur le marché de Montblanc situé à 20 km de là, et qui réservait bien des surprises...

Une pêche d'enfer

« Je me lève entre 4 et 5 heures, parce que je respire le bon air, l’air de la mer et l’iode, ça fait les joues rouges », ainsi débutait ce reportage qui allait dévoiler le quotidien de Germaine Combas. Nous la suivons de bon matin, sur sa petite mobylette, tractant sa remorque chargée de poissons frais jusqu'au marché de Montblanc, où l'attendait ses clients. Une fois sa marchandise installée, Germaine haranguait la foule. Des heures durant, elle n'aurait de cesse de vanter la beauté de ses poissons, plaisantant avec son accent chantant, « c’est joli, ils sont jolis », car oui, tout paraissait beau aux yeux de Germaine.

Derrière cette légèreté apparente se cachait aussi une amoureuse de la nature, sensible à l’environnement, expliquant à Pierre Bonte qu’elle se déplaçait uniquement à motocyclette pour éviter de « faire de la pollution », à une époque où l’on parlait peu de ce sujet.

Sur le marché, Germaine n’oubliait pas de prodiguer des idées de recettes à ses clients, « c’est bon, frit, flambé au cognac, sauce tomates ». Car Germaine se donnait corps et âme à son travail. Une façon de vivre, intensément, avec sincérité tout en profitant de la vie. « Je n’ai pas de mari, alors j’ai mis tout mon amour à la clientèle », expliquait-elle.

Mais la vendeuse au tempérament de feu avait un autre atout pour attirer les clients, elle chantait. Sans se faire prier, elle entonnait une reprise personnelle de la chanson de Mistinguett, C’est vrai, sur laquelle elle avait collé ses propres paroles : « je suis la belle poissonnière (…) je suis celle qu’on préfère, la belle poissonnière, c’est vrai ! ». Un spectacle au milieu du marché !

Une artiste de la vie

Mais elle ajoutait mystérieusement à l'attention de Pierre Bonte : « A 3 heures de l’après-midi, ça change, ça tourne, je ne suis plus la poissonnière… » Il allait rapidement découvrir ce qu’elle voulait dire. De retour chez elle, dans l’intimité de son séjour, Germaine changeait de personnalité et donnait libre cours à sa passion. Quittant sa tenue de poissonnière, elle se transformait en artiste. La voilà en tenue rouge et noir de danseuse de flamenco ! Jupons multiples, castagnettes, fleurs écarlates plantées dans sa chevelure brune, elle exécutait pour la caméra une danse espagnole enlevée !

Plus tard, après avoir enfilée une autre tenue de danseuse encore plus exubérante, la belle Germaine confierait à Pierre Bonte qu’elle dansait ainsi tous les après-midis, pour elle seule, avec ses « robes et ses disques, déclarant se sentir bien ainsi.

Que ce soit avec la vente du poisson, le matin ou au rythme de la danse espagnole l'après-midi, Germaine s’enthousiasmait malgré les coups durs de la vie. Celle qui élevait seule ses trois fils confiait : « J’ai eu de grands malheurs, mais je suis très heureuse. J’ai pas de mari, je suis veuve, j’ai pas d’amant, j’ai personne, parce que je ne me consacre qu’à mon travail ».

Les années ont passé, et Germaine s'en est allée, mais sa joie de vivre, son optimisme n'ont rien perdu de leur intensité.

Pierre Bonte nous a raconté les coulisses de cette rencontre qui a marqué sa carrière, mais également sa vie, « elle mérite d’être rediffusée, elle va mettre du baume au cœur », nous dit-il.

L’INTERVIEW.

INA - Comment avez-vous rencontré Germaine, cette poissonnière extraordinaire ?

Pierre Bonte – « Elle m’avait été signalée par l’un de ses clients du marché de Montblanc. Vous savez, je recevais beaucoup de courrier quand j’étais au "Petit rapporteur", des gens me proposaient des personnages de leur coin qui leur semblait intéressants à filmer. Après vérification, je suis descendu sur place pour la filmer ».

INA - Comment parveniez-vous à saisir l'essence de ces personnages ? Y avait-il une mise en scène ?

Pierre Bonte – « Pas du tout. Il n’y avait rien à faire qu’à filmer. Elle a explosé toute seule à l’écran. Les gens comme ça, il n’y a rien à faire. Ils sont d’un naturel déconcertant, ils sont natures, au premier jet. Il n’y a presque rien à couper ».

INA - Elle vous raconte qu’elle avait eu une vie difficile, qu’elle était veuve.

Pierre Bonte - « Oui, mais elle aimait la vie. Et comme beaucoup de femmes de sa génération, elle avait un tempérament d’artiste qu’elle n’avait jamais pu exprimer. Car, à l’époque, on faisait le métier des parents, et c’est tout. On n’avait pas l’occasion d’aller aux cours de théâtre. Elle, elle n’avait jamais pu s’exprimer professionnellement et elle faisait son numéro au marché. Les clients, c’était son public ! Elle chantait, elle faisait un numéro avec eux. Elle ne faisait pas ça pour moi. On me l’avait signalée parce que justement, elle faisait son numéro deux fois par semaine sur le marché ».

INA - Ce qui est marquant dans ce portrait, c’est son côté écologiste, très en avance sur son époque.

Pierre Bonte – « Oui, absolument. Elle était intelligente, elle avait des opinions. Elle était avant-gardiste. Très sensible à l’environnement, elle aimait la nature ».

INA - La deuxième partie du reportage est surprenante ! Vous attendiez-vous à cette transformation ?

Pierre Bonte – « C'est fou ! Regardez comme elle change de personnage ! Comme elle change de costume ! Au début, c’est la marchande de poissons, c’est la poissonnière. Et dans la deuxième partie, c’est la duchesse du Barry ! Elle est dans son fauteuil, elle parle un peu précieusement. Ce n’est plus la même » !

INA - Comment avez-vous vécu ce moment ?

Pierre Bonte – « C’est complètement du théâtre. Elle a mis ses robes pour être belle. Elle n’avait pas peur de montrer ses jambes en dansant. Elle m’a bouleversé, car elle était heureuse. Heureuse le matin, en poissonnière, et aussi heureuse l’après-midi, en tenue de danseuse espagnole. Elle avait une façon d’être heureuse partout. C’était une femme épanouie. Pour moi, c’est l’un des meilleurs personnages que j’ai eus l’occasion de montrer ».

INA - Comment se déroulaient les tournages ?

Pierre Bonte – « J’avais un cameraman, un preneur de son et un réalisateur. L’image était assez belle, c’était bien filmé. À l’époque, il n’y avait pas toutes les facilités de micro-cravate, c’était enregistré à la perche. Et on faisait tout sur la journée. Pour Germaine, le matin, je l’ai suivie au marché. L’après-midi, elle s’est changée et on l’a filmée dans son séjour. On a enchaîné les deux, on n’avait pas beaucoup de temps. On se débouillait toujours sur une journée ».

INA – Avez-vous gardé des liens avec elle après ce reportage ?

Pierre Bonte – « Oui. Elle est devenue une amie. Elle m'écrivait chaque année. Je l’ai même interviewée à nouveau après ça. Notamment pour « Envoyé spécial » alors que je faisais une émission sur la Guerre du Golfe et sur ce qu'en pensaient les Français dans les régions. C’était dans les années 1990. En fait, j’avais choisi le canton de Pézenas dans l'Hérault en partie à cause d’elle, car non seulement elle était marrante, mais elle était intelligente. Elle avait le bon sens et la générosité du peuple, des gens bien ».

LES BONUS.

Pierre Bonte a également interrogé Germaine pour une émission de cuisine diffusée sur TF1 en novembre 1981. Germaine exerçait toujours son métier de poissonnière sur le marché de Montblanc. C'était pour l'émission « Les recettes de mon village ».

Elle n’avait pas abandonné sa mobylette, tractant sa remorque remplie de la pêche du jour, récupérée sur le port du Grau d’Agde. Elle prodiguait toujours des recettes. Et notamment celle de la roussette à la tomate. Dans sa cuisine, elle expliquait à Pierre Bonte comment l’accommoder.

LA RECETTE DE GERMAINE

Si vous souhaitez la réaliser chez vous, il vous faudra un kilo de roussettes, un kilo de tomates, du persil, de l’ail, du thym pour la sauce, de la farine, de l’huile, du sel et du poivre, sans oublier le cognac « pour flamber la roussette ».

À la fin du reportage, Germaine avait réservé une surprise « olé ! olé ! » à son invité...

Germaine dans « Envoyé spécial »

Le 17 septembre 1992, Pierre Bonte retournait à Pézenas pour interroger Germaine Combas sur l'actualité, notamment la guerre en Irak. À quelques jours du référendum sur le traité de Maastricht, la professionnelle des produits de la mer, toujours aussi originale et expressive, avait beaucoup à dire.

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