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En 1975, le recours aux antibiotiques était (presque) automatique dans l'élevage industriel

En 1975, le recours aux antibiotiques était (presque) automatique dans l'élevage industriel

Depuis 2011, l'exposition globale des animaux aux antibiotiques a diminué de 45,4%. C'est l’Agence nationale de santé qui le dit dans son dernier rapport annuel sur l’utilisation des antibiotiques en médecine vétérinaire. En 1975, un reportage de TF1 expliquait en quoi l'utilisation des antibiotiques était un corollaire de l'élevage industriel, et montrait qu'une voie plus naturelle était néanmoins possible.

Par Cyrille Beyer - Publié le 18.11.2021
Etre veau en 1975 - 1975 - 03:06 - vidéo
 

Le 18 novembre, à l’occasion de la journée européenne d’information sur l’antibiorésistance, l’Agence nationale de santé (Anses) a publié son rapport annuel sur l’utilisation des antibiotiques en médecine vétérinaire, en France. En 2020, l’exposition des animaux aux antibiotiques est en baisse de 2,7 % par rapport à 2019. Sur les dix dernières années, la baisse est encore plus spectaculaire : « Par rapport à 2011, début du plan Ecoantibio visant à diminuer le recours aux antibiotiques, l'exposition globale des animaux a diminué de 45,4 % », a souligné l'Anses dans son rapport annuel.

Par rapport aux pratiques des autres pays européens, la France se situait selon l’Anses en 2018 « au 14ème rang des pays les plus consommateurs sur 31 pays participants […], avec une consommation très inférieure à la moyenne européenne ».

Si la question des antibiotiques en médecine vétérinaire est désormais à ce point une préoccupation pour les agences sanitaires, c’est que leur utilisation massive a révélé de nombreuses résistances aux traitements antibactériens, pour les animaux comme pour les humains qui les consomment.

Nos archives démontrent que ce sujet est un souci de santé publique depuis des décennies. Parfois, les propos se veulent rassurants, comme avec cet avis donné en 1966 par le professeur François, de l’Académie de médecine, pour qui « l’utilisation des antibiotiques en élevage ne présente pas de danger pour l’homme, parce que les doses utilisées sont beaucoup plus faibles que celles [utilisées] pour traiter les maladies (environ 100 fois plus faibles), et que ceci réduit les risques pour le consommateur humain ». Pour preuve de l’innocuité de ce traitement, le professeur François rappelle que les antibiotiques « sont administrés depuis une quinzaine d’années dans tous les pays du monde ».

Plus souvent, les archives traduisent les préoccupations déjà présentes dans la société sur la présence de résidus de médicaments dans la viande. Comme avec ce reportage de TF1 du 8 mars 1975, présenté dans l’archive en tête d’article, qui traite de l’élevage industriel, et pointe du doigt son utilisation massive d’hormones et d’antibiotiques. Avec pour résultat, l’« hésitation du consommateur », pour reprendre les termes du journaliste en ouverture du sujet. Interviewée, une consommatrice confie : « La viande de veau ? J’aime beaucoup ça, mais j’ai peur d’en manger à cause des piqûres qu’on leur fait tout le temps. »

Véritable industrie

Le reportage évoque la transformation de l’élevage ovin, devenu « une véritable industrie » peu sensible aux considérations de bien-être animal : « On élève chaque année en France 3 millions [de veaux] par des méthodes rationnelles. Enlevés à leur mère à 8 jours, entassés dans un espace réduit, ce sont des animaux fragiles ». Pour pallier à cette fragilité, la réponse est médicamenteuse : « Pour qu’ils démarrent [la vie] sans problème, les éleveurs leur implantent des hormones. Pour qu’ils ne soient pas à la merci du premier microbe venu, ils leur administrent une bonne dose d’antibiotiques dans des aliments d’adaptation. »

Résultat, cette méthode industrielle a sensiblement augmenté le rendement des élevages, puisque, « de 53 kilos en 1950, le poids moyen de la carcasse de veau de 3 mois est passé à 98,5 kilos en 1973 ». Ces chiffres, positifs pour l’économie, ont un revers sanitaire : « Les analyses ont démontré la présence de résidus d’antibiotiques du groupe des pénicillines dans des foies et des rognons de veau du commerce ».

Certes, comme l’avait déjà expliqué le professeur François dans l’archive de 1966, le reportage de 1975 rappelle que « ces résidus ne sont pas dangereux en eux-mêmes ». Mais ce n’est pas pour autant qu’ils ne représentent aucun risque pour la santé humaine, puisque, comme l’explique le reportage, « des doses répétées peuvent entraîner chez l’homme des phénomènes de résistance aux traitements antibiotiques ». Résistance aux traitements antibiotiques, le constat est donc déjà présent en 1975. Et son explication, qui est d’ordre économique : « Les éleveurs répondent qu’ils sont pris entre l’enclume du prix de vente qui n’évolue pas assez vite et le marteau des coûts de production, qui s’alourdissent de plus en plus : "Nous sommes obligés, disent-ils, de faire de l’élevage industriel". »

Une autre voie

Le reportage de TF1 montre qu’une autre voie est cependant possible. Dans la Manche, un éleveur, qu’on pourrait qualifier aujourd’hui de « bio », propose avec d’autres fermes (un regroupement concernant au total 22 000 bêtes, soit 0,5% de la production nationale) une viande légèrement plus chère pour le consommateur mais garantie sans « application systématique d’antibiotiques et d’hormones ». Une démarche qualité qui lui vaut alors les foudres du service des fraudes, qui lui reproche de mettre en avant une production sans hormones, alors « qu’en France normalement tous les veaux doivent être sans hormones en fonction de la réglementation actuelle ».

En 1975, l’état de la législation est encore très flou, puisque « la loi interdit l’emploi de certaines hormones, mais pas de toutes. Quant aux antibiotiques, aucun texte ne dit que les viandes contenant des résidus doivent être retirées du commerce ».

Si la prise de conscience des risques posés par l’emploi massif de médicaments chez les animaux est donc connue depuis des décennies, il aura néanmoins fallu attendre le début des années 2010 pour que les autorités sanitaires européennes et françaises s’emparent véritablement du problème.

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