Petite histoire de la triche aux échecs 

Un séisme ébranle le monde des échecs. Dans un tweet du 26 septembre, le champion du monde en titre Magnus Carlsen a accusé de triche le jeune prodige américain Hans Niemann. Des accusations non étayées. « Je suis très surpris de l’attitude de Magnus Carlsen. On n’accuse pas sans apporter de preuves » nous explique Kevin Bordi, 35 ans, créateur et animateur de Blitzstream, la plus grande chaîne francophone dédiée aux échecs sur Twitch et auteurs d’ouvrages sur le jeu.

Si la triche était avérée, ce ne serait pas la première fois de l’histoire des échecs, un jeu qui regorge de systèmes de triche plus ou moins sophistiqués. Mécanisme complexe, intelligence artificielle… si la technologie a révolutionné le jeu et créé des vocations précoces, elle a aussi favorisé les fraudes. Florilège en archives.

A la fin du XVIIIème siècle, l’ingénieur Hongrois Johann Wolfgang von Kempelen invente le « Turc mécanique », un automate au mécanisme sophistiqué capable de déplacer les pièces d’un jeu d’échec. Il prétend que son robot est capable de jouer contre un humain. En réalité, l’invention permet de dissimuler un joueur de petite taille qui actionne un complexe assemblage de rouages activant les bras articulés de l’automate. A l’époque, le « Turc mécanique » impressionne et fait le tour des cours d’Europe, de l’Impératrice Marie-Thérèse d’Autriche au Tsar Paul 1er de Russie. La supercherie est devenue célèbre en battant des personnalités de renoms telles que Napoléon Ier, Benjamin Franklin ou Allan Edgar Poe.

1981. Sur les trottoirs de la 42ème rue de New York, des joueurs proposent aux passants une partie d’échecs contre quelques dollars. A l’image du bonneteau, ces jeux clandestins à ciel ouverts attirent les passionnés malgré les interdictions. C’est là qu’œuvre « Bobby le poisson », un ancien détenu pris en flagrant délit de triche devant un public agacé.

11 mai 1997. Deep Blue, une intelligence artificielle capable de calculer 200 millions de coups à la seconde, bat le champion du monde Garry Kasparov. Une première dans le monde des échecs. S’il ne s’agit pas là proprement dit de triche, cela révolutionne le jeu. Baptisé « Centaure », l’alliance homme-machine combine désormais force de calcul informatique, intelligence et stratégie humaine. Pour les professionnels, impossible de passer outre la machine pour s’entraîner. « La technologie change tout. Si on donne ce genre d’intelligence artificielle à un joueur du top 50 mondial, on ne pourra pas le détecter. Car il joue très bien de base et la petite différence de niveau que cela va lui apporter sera crédible » nous explique Kevin Bordi.

24 mars 2011. L’équipe de France est dans la tourmente. Accusé de tricherie, Sébastien Feller, un jeune champion français, est lourdement sanctionné lors d’un tournoi russe. Le stratagème mis en place est assez complexe. La partie est retransmise en direct sur Internet. Depuis la France, un complice calcule le meilleur coup avec un ordinateur. Puis, il transmet l’information par SMS à l’entraîneur du joueur présent dans la salle en Russie. Avec des déplacements codés, il indique à son joueur le bon coup à jouer.

Les joueurs d’échecs sont-ils les rois de la triche ? « Tricher aux échecs est relativement simple et très peu risqué. Personne ne réussit à réunir de preuves, car la sécurité dans les tournois est quasiment inexistante. Le retour sur investissement peut être énorme, car les joueurs professionnels peuvent gagner plusieurs millions d’euros par an » affirme Kevin Bordi. Encore faut-il ne pas se faire prendre.