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Qu'est-ce que le Comité d'action viticole, ce groupe d'action directe du Languedoc ?

Qu'est-ce que le Comité d'action viticole, ce groupe d'action directe du Languedoc ?

Dans la nuit du 18 au 19 janvier 2024, la Direction régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement (DREAL) de Carcassonne a été soufflée par une explosion. En pleine montée de revendications issues du monde agricole, le Comité d'action viticole (CAV) semble en être à l'origine. Ses initiales ont été tracées sur les lieux. Habitué de l'action directe et violente, ce groupe agit depuis les années 1960. Explications en archives.

Par Romane Laignel Sauvage - Publié le 22.01.2024
 

L'ACTU.

Dans la nuit du 18 au 19 janvier 2024 à Carcassonne, un bâtiment vide de la Direction régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement (DREAL) a été soufflé par une explosion. Sur place, un sigle du Comité d'action viticole (CAV) a été retrouvé. Cet événement a lieu en pleine montée, en France et en Europe, d'une contestation dans le monde agricole. Le préfet de l'Aude condamné dans un communiqué ces agissements et noté que « si aucun agent de l’État n'a été blessé, d'importants dégâts matériels sont à déplorer ».

Le CAV ou CRAV, pour Comité régional d'action viticole, est la frange radicale des organisations viticoles locales. Il a fait de l'action directe un soutien aux négociations traditionnelles portées par les syndicats lors des crises successives du secteur. Apparu dans les années 1960, il s'oppose principalement à la concurrence des vins italiens et espagnols et dénonce les conditions de rémunération des exploitants viticoles.

À l'époque, ces actions bénéficiaient d'un certain soutien de la population locale. Aujourd'hui, comme le rapporte France Info, les représentants des syndicats de vignerons locaux tendent plutôt à dénoncer le mode d'action violent du CRAV. C'est le cas du président du syndicat des vignerons de l’Aude, Frédéric Rouanet, qui insiste par ailleurs sur une situation actuelle « dramatique » pour le monde viticole.

LES ARCHIVES.

« Le problème est grave, il faut trouver une solution au Midi sinon on va vers des catastrophes qui risquent d'être des catastrophes nationales ». Dans le monde viticole du sud de la France, les prémices d'une action directe semblent dater des grandes révoltes vigneronnes de 1907. Mais le Comité d'action viticole prend réellement forme dans le Midi dans les années 1960.

Progressivement tourné vers l'action directe, il est à l'origine d'actions commando chargées d'intervenir par la force, notamment via des attentats à l’explosif ou des actes de vandalisme à l'encontre de structures publiques, entreprises de négoce ou supermarchés. Ses activités suivent le cours des crises successives du milieu viticole, notamment dans les années 1970.

Le drame de Montredon

En mars 1976, la violence des rapports entre l'État et les viticulteurs du Midi atteignait son paroxysme lors du drame de Montredon, près de Narbonne. Un viticulteur et un CRS étaient tués au cours d'une manifestation. L'archive en tête d'article y fait référence et montre la tension dans les milieux viticoles de l'Aude.

Depuis plusieurs mois, celle-ci grimpait dans la région alors que la consommation de vin de table baissait en France et que la concurrence des pays voisins s'accentuait. En décembre 1975, à l'appel du Comité régional d'action viticole, le port de Sète était occupé par des vignerons afin de bloquer l'arrivée de vin italien.

Les réponses de l’exécutif aux revendications vigneronnes étaient alors jugées bien insuffisantes. « Reprise des contrôles routiers et des actions de commando, suspension du paiement des impôts et organisation d'une journée "villes mortes" dans tout le Midi » : comme le rapportait Le Monde à l'époque, le Comité régional d'action viticole organisait la mobilisation. Et au mois de mars suivant, celui-ci poursuivait ses appels à « la mobilisation générale » des vignerons.

Dans le journal télévisé d'Antenne 2, comme on le voit dans l'archive en tête d'article, les mobilisations vigneronnes étaient rapportées. Le 4 mars, un reporter de la chaine s'était rendu à Montredon-des-Corbières, non loin de Narbonne, pour suivre une manifestation d'ampleur, constituée notamment du blocage d'un pont.

Quelques minutes avant que celle-ci ne tourne au drame, Maurice Cazes, leader des viticulteurs de l'Aude, alertait à son micro. « À ce niveau, une violence en appelle une autre et je crois que c'est un climat où il n'y a pas de vainqueur il n'y que des perdants. Nous nous sommes que des terriens, il faut continuer à vivre sur nos terres », alertait-il. Et d'expliquer : « Les viticulteurs ne sont pas contre les raisons d'État, nous nous y inclinons s'il faut importer du vin italien pour des raisons d’ordre national, nous nous inclinons, mais à la seule condition que ce soit l'ensemble de la Nation qui en prenne la charge et pas seulement une région qu'on est en train de ruiner. »

Vers 15h, aux coups de fusil de chasse, les forces de l'ordre répondaient par des coups de feu. Un CRS, le commandant Joël Le Goff, 42 ans, et un vigneron, Émile Poytes, 52 ans, étaient tués, près de 25 autres protagonistes blessés. Sidérés, les manifestants décrétaient la démobilisation provisoire. « Les responsables des comités viticoles ont lancé ce soir un appel au calme et demandé aux manifestants de rentrer chez eux. Ils ont annoncé pour demain une journée de deuil.»

« La fièvre couvre »

Sur Antenne 2, on essayait de comprendre. « Le drame de cet après midi faisait suite aux incidents de la nuit dernière à Narbonne où des commandos de viticulteurs étaient passés à l'action dans toute la ville et ses environs. Les interventions des forces de l'ordre s'y étaient succédées jusqu'à l'aube sans pouvoir empêcher la mise à sac des perceptions de la ville et des localités voisines », rapportait-on. Première raison de la mobilisation : la détention de deux viticulteurs originaires de l'Aude accusés d'avoir saccagé les locaux d'un négociant. Mais, les raisons étaient plus profondes, comme poursuivait le commentaire : « Cause profonde de tout cela, la crise prolongée de la viticulture et puis le problème plus récent de l'importation des vins italiens. » Et de conclure : « Un calme apparent est revenu dans le Midi, mais la fièvre couvre. »

Dans l'archive ci-dessous, tournée le lendemain, un reporter d'Antenne 2 racontait avoir interrogé un viticulteur sur les événements. Il citait sa réponse : « La violence, on ne la désirait pas, elle est un constat. Ce pays ne vit que de la vigne et nous sommes mal rémunérés, Paris ne veut pas nous entendre. » Un autre de dire : « Depuis que nous manifestons dans le calme Paris n'a pas répondu à nos questions, il a suffi qu'il y ait deux morts hier pour que les informations nationales nous consacrent une demi-heure. Alors ça, c'est la triste réalité. On aurait pu s'occuper du problème avant. »

Viticulture : situation à Narbonne
1976 - 03:56 - vidéo

À la suite du « drame de Montredon », les actions du CRAV se firent progressivement plus discrètes, plus rares. Jusqu'à la fin des années 1990. « Dans les années 1970 et 1980, le CRAV s'était illustré par la violence de ses agissements, ces quatre lettres qui signifient Comité régional d'action viticole ont refait leur apparition ce matin à Montpellier. » De nouveau poussé par une colère latente dans le secteur viticole, les commandos reprenaient leurs activités. À l'été 2000, par exemple, le groupe faisait la Une du journal télévisé de Montpellier, comme on le voit ci-dessous. « Un commando a saccagé ce matin les bureaux de la Direction régionale de la concurrence et de la répression des fraudes ». Les dégâts étaient « estimés à plusieurs centaines de milliers de francs ».

Et toujours les mêmes revendications : demander « des mesures pour réguler la dernière récolte de vins de table de l'an dernier, en grande partie invendue » et dénoncer la concurrence étrangère. Ils vidangeaient ainsi à un péage d'autoroute un camion de vin espagnol à destination de l'Allemagne. L'action directe est revendiquée et qualifiée de seul moyen d'obtenir réponse de l'État.

En 2007, le CRAV allait jusqu'à menacer d'un ultimatum le président de la République. Ils apparaissaient cagoulés sur France 3 et déclaraient : « Nous demandons à monsieur le président de la République de tenir ses promesses électorales, car si par hasard monsieur Sarkozy ne va pas dans le sens des intérêts viticoles, il portera l'entière responsabilité de ce qui se passera. Vignerons, nous vous appelons à vous révolter. Nous sommes au point de non-retour. » Un événement qui alerta jusque dans les colonnes du journal anglais The Guardian qui les comparait à Al-Qaïda.

Tout au long des années 2000 et 2010, pour se faire entendre, ces viticulteurs radicaux ont continué d'agir à intervalles réguliers et localement. Toujours au moyen d'attentats et de saccages de négociants de vin.

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