L'ACTU.
En mars l'administration Biden avait donné son aval à un projet de forage pétrolier géant baptisé Willow en Alaska. Ce projet à 8 milliards de dollars mené par le géant pétrolier américain ConocoPhillips, avait dans un premier temps été approuvé par l’administration Trump, avant d’être stoppé en 2021 par un juge. Dans un article, le New York Times explique que cette exploitation devrait être située sur des terrains fédéraux en Alaska, la réserve nationale de pétrole (The National Petroleum Reserve), avec pour ambition de « produire plus de 600 millions de barils de brut sur une période de trente ans ».
Si l’État fédéral avançait des avantages comme de nombreux emplois et un maintien de l'indépendance énergétique américaine, les opposants dénonçaient une augmentation drastique de la pollution annuelle de « 9,2 millions de tonnes métriques de carbone », ce qui ajouterait, « près de deux millions de véhicules en circulation chaque année ».
Les opposants dénonçaient une « trahison de Biden », qui s'était engagé à faire baisser les émissions à effet de serre du pays de moitié d'ici à 2050. La promesse d'interdire des forages pétroliers et gaziers sur plus d’un million d’hectares dans la mer de Beaufort et l’océan Arctique ne les a pas convaincus. Kristen Monsell de l’organisation de défense de l’environnement Center for Biological Diversity (Centre pour la diversité biologique) dénonçait un « non sens » dans l'article, expliquant que « cela n’aidera pas les populations et les espèces sauvages dont la vie va être bouleversée par le projet Willow ».
Cette polémique n'est pas sans rappeler celles qui agitaient l'opinion publique américaine dans les années 1970, une époque où de grosses sociétés pétrolières commençaient à exploiter les ressources pétrolières enfouies sous les immensités glacées de l'Alaska.
L'ARCHIVE.
Le 2 septembre 1970, le magazine « Vingt-quatre heures sur la deux » consacrait un long reportage aux premiers forages en Alaska et à leurs conséquences dans cette région sauvage jusqu'alors préservée. Les travaux pétrolifères peinaient à s'installer sur le territoire à un moment où l'opinion publique américaine s'opposait à tout ce qui pourrait « abîmer l'équilibre de la nature ». De leur côté, les membres de l'industrie pétrolière se voulaient rassurants, à l'image de Carter Barkus, responsable d’un projet de pipeline, interrogé dans ce sujet. Il répondait à toutes les objections de façon désarmante. Venu du Texas, il s’extasiait sur la beauté du paysage, « je sais que nous ne devons pas le polluer, que nous ne le ferons pas », rassurait-il.
Dans la péninsule du Kenai, un concentré de nature sauvage, l’exploitation pétrolière avait déjà commencé et les dégâts aussi. Le reportage expliquait que « le département des ressources naturelles enregistrait des témoignages de pêcheurs concernant des bancs de poissons morts de plus en plus nombreux dans les eaux du Pacifique ». Ces alertes contrastaient avec les paysages encore préservés de grandes étendues de neige et de glace immaculées que montraient les images.
À l'époque, traumatisés par la pollution accélérée des îles, des plages et des rivières aux États-Unis, l’opinion américaine réagissait contre « tout ce qui semblait menacer les réserves naturelles de l’Alaska ». Le gouvernement fédéral inquiet, lui-aussi, et soucieux de ne pas mécontenter le corps électoral « venait de demander de nouveaux délais d’études et de recherches ». Malgré cette pression, les représentants des grandes compagnies pétrolières restaient confiants.
Des investissements juteux
Un Français interviewé expliquait que les compagnies pétrolières étaient conscientes des objections des Américains, qu’elles continueraient à investir. Tout en faisant des efforts « qui leur coûterait sûrement très cher pour préserver la nature et échapper à la catastrophe ». Il ajoutait qu'aux États-Unis, on n’échappait « pas à l’argent, jusqu’à maintenant. »
Parmi les autres arguments avancés par les compagnies pétrolières, certains résonnent avec ceux d'aujourd'hui, comme apporter de l’argent et du travail aux populations pauvres. Le choix se posait déjà entre « le pétrole ou la nature, le développement industriel accéléré ou sauvegarde d’une vie sauvage unique au monde », ajoutait le commentaire. L’Alaska tentait de concilier les deux en ne précipitant pas l’installation des pipelines américains.
Et le journaliste de conclure : « Pour la plupart, cependant, la transformation de la frontière ne fait guère de doute ».
Respect ou destruction de la nature ?
Trois ans après cette archive, le 14 septembre 1973, le « Magazine 73 » de la première chaîne diffusait un nouveau reportage intitulé « Énergie : la catastrophe ? », consacré à l'Alaska, terre de prospection pétrolière. En 1973, en pleine crise pétrolière aux États-Unis, la prospection pétrolière s'étendait, les pétroliers faisant déjà pression pour l'élargir encore. L'écologiste David Brawer, l'un des plus ardents défenseurs de l'environnement partageait ses inquiétudes à la télé française.
« 1200 km de tuyaux dormaient déjà sous la neige », apprenait-on. Une bataille juridique faisait alors rage opposant les pétroliers aux écologistes. Une décision de la Cour suprême des États-Unis devait trancher la situation. Si certains Américains trouvaient ridicule d’aller si loin pour installer un pipeline, David Brawer, le président des Amis de la Terre déclarait que les écologistes avaient gagné un premier combat. Ils avaient pu faire interrompre la construction d’un pipeline en Alaska durant plusieurs années grâce à une ancienne loi qui stipulait que le droit de passage autorisé par le ministère de l’Intérieur « devait être limité à 8 mètres de chaque côté du conduit », ce qu’il estimait toujours insuffisant, mais qui avait suffi à ralentir le grignotage des terres.
L'écologiste expliquait qu'il comptait poursuivre l’obstruction pour s’assurer que : « Le pétrole d'Alaska arriverait de la bonne manière et au bon moment, avec un minimum de dommages pour l'environnement ». Il précisait que les lois de protection de l’environnement étaient récentes et confiait comment la prise de conscience de la fragilité de la planète bleue était née, « notre combat a commencé au moment où les photos prises du satellite Apollo nous ont montré que la Terre était si petite au milieu de ces vastes espaces sidéraux. Et nous avons réalisé à quel point nous la mettions en danger ».
La crise pétrolière était selon lui un mythe. Il évoquait une manipulation de l'information et estimait qu’il y avait un battage médiatique trop fort autour de la pénurie de pétrole, « orchestré par les compagnies pétrolières » pour contrer l’action des « environnementalistes (...). Voilà la crise inventée par les compagnies qui croyaient hors de propos d’inciter à moins consommer ». Le militant concluait sur une note optimiste en précisant que le discours commençait à changer et que ces mêmes compagnies demandaient désormais au public de se restreindre, « s’ils l’avaient fait plus tôt nous n’en serions pas là aujourd’hui », concluait-il.
L'Alaska, terre de prospection pétrolière
1973 - 03:55 - vidéo
L'Alaska est un état américain qui ne ressemble à aucun autre. Loin de l'agitation des grandes villes, l'Alaska est un territoire paisible où les glaciers et les massifs montagneux s'étendent à perte de vue. Ici, les Esquimaux continuent à perpétuer leurs traditions, mais sont parfaitement assimilés au mode de vie américain. Un documentaire de 1963 de Serge Leroy et Maurice Werther