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Le casse-tête récurrent de l'accès aux administrations

Le casse-tête récurrent de l'accès aux administrations

Selon une enquête du magazine « 60 millions de consommateurs » publiée le 26 janvier, les services publics seraient souvent injoignables, privant les usagers de l'accès à leurs droits. Avant l’avènement d’Internet ou du téléphone, les Français se déplaçaient au guichet des administrations, et là, déjà, c’était le parcours du combattant pour obtenir des réponses. Quant à la dématérialisation administrative, elle devait améliorer le service, mais n'a pas tenu ses promesses.

Par Florence Dartois - Publié le 26.01.2023
 

L'ACTU.

Dans le cadre d'une enquête menée avec la défenseure des droits, le magazine 60 millions de consommateurs alerte sur le fait que les services publics sont de moins en moins joignables, notamment pour les personnes âgées mal à l'aise avec Internet. La dématérialisation administrative prive de nombreux usagers de l'accès, voire, même de l'information à leurs droits. Parmi les chiffres marquants de cette enquête parue le 26 janvier 2023, l'accueil téléphonique est pointé. La lanterne rouge est détenue par l’Assurance-maladie. Sur 302 appels passés pour connaître les formalités en vue d’obtenir ou renouveler une carte vitale, 72 % n’ont pas abouti. Et après avoir obtenu quelqu'un, seuls 22 % des appels recevront une « réponse acceptable » et moins de 5 % des « réponses précises ». 54% des appels ont abouti pour la Caisse d'allocation familiale (CAF). Pôle emploi avec 84 % et la caisse retraite avec 72% d'appels aboutis, sont meilleurs, mais précise l'enquête, les réponses obtenues ne sont pas toujours satisfaisantes et parfois erronées.

LES ARCHIVES.

Etait-ce mieux autrefois, lorsque l'on pouvait se rendre au guichet ? L'archive en tête d'article tend à monter que non. Le 3 octobre 1972, pour le journal de 20h00, le journaliste Gérard Pabiot s'était rendu dans une caisse parisienne d’allocation familiale (CAF) pour déterminer le temps d’attente. Installé dans l'immense salle bondée, il avait bien du mal à entendre les numéros d'appels égrenés dans des enceintes de mauvaises qualités. Autour de lui, des usagers patientaient depuis 2 heures, parfois plus, pour « un rappel d’allocation logement ». Quand le reporter parvenait enfin à un guichet, on lui répondait qu'il fallait attendre. On l'enverrait alors vers un nouveau guichet, puis à un autre et un autre encore... pour finalement lui répondre qu'il lui faudrait attendre un mois pour obtenir satisfaction.

Après sa course entre les différents guichets, le journaliste interrogeait un responsable de la CAF qui reconnaissait des lenteurs : « il y a certains jours de pointe où nous avons près de 2 000 personnes… toutes les personnes qui pourraient écrire éviteraient de faire la queue », se justifiait-il avant de reconnaître qu'en théorie « les gens devraient attendre ½ heure, mais en pratique, pour un cas épineux, s’il y a une recherche de pièces, ça peut durer 1 ou 2 heures ». Pour pallier ce problème, il annonçait la création de 84 permanences administratives dans Paris, en banlieue et dans les départements limitrophes et que cela devrait encore augmenter à l'avenir pour un meilleur service. Cette lourdeur administrative avait déjà été pointée dans un autre sujet JT, deux ans plus tôt, le 18 octobre 1970.

Une administration trop centralisée

Les usagers se plaignaient déjà de l’attente : « des fois les gens repartent très mécontents », « je suis là depuis 2h15 », « il faut toujours attendre et puis il y a un tas de paperasses à remplir ». On avait demandé au sociologue Michel Crozier de donner sa définition de l'administration et de décrire la spécificité de l’administration française. C'était à ses yeux un système solide, mais cette solidité recelait sa faiblesse comme il l'expliquait en parlant des fonctionnaires et des nombreuses ressources mises à la disposition du système : « tout ce qu’ils font vont à l’encontre de ce qu’ils veulent faire », déclarait-il, ajoutant que le problème était de faire passer la communication à l’intérieur du système, « c’est de se débarrasser de la centralisation qui maintien le système dans son homogénéité et de mettre en prise avec les gens qui sont capables de faire quelque chose et les gens qui décident. Il y a un fossé total entre la décision et l'information », concluait-il.

Également interrogé dans ce reportage, Jacques Baumel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, qui annonçait une amélioration de l'administration : « Nous avons pris un départ pour une transformation qui prendra de nombreuses années, pour une transformation profonde des rapports entre les Français et leur administration et pour l’amélioration des services publics. » Effectivement, l'année suivante débutait une simplification des démarches par une diminution du nombre de documents à produire dans les différentes démarches à la Sécurité sociale. En limitant les papiers, l'administration espérait économiser 1 milliard de francs et 10 jours d'envois postaux.

La semaine de l'administré
1970 - 04:01 - vidéo

Les plateformes téléphoniques

La « grande révolution » qui devait accélérer le traitement des dossiers et fluidifier les démarches allait se dérouler au début des années 2000, avec l'installation de plateformes téléphoniques régionales. Le 2 juillet 2002, FR3 Nice présentait le centre d'appel de la CAF des Alpes-Maritimes mis en place 18 mois plus tôt. La première initiative de ce genre en France. Un accueil téléphonique jugé comme un véritable plus pour les 190 000 allocataires de la région. Un coup de fil et votre problème était résolu, promettait-on : « durée moyenne de l'appel 2,30 minutes, taux d'efficacité, 91 %. Fini les longues files d'attente, avec le téléphone la CAF a changé d'air ». Le directeur adjoint de la CAF, tout sourire, assurait que ces résultats les avaient surpris eux-mêmes et que désormais « 9 allocataires sur 10 » pouvaient les joindre « sans aucune difficulté ». Même succès pour la CPAM de la Sarthe l'année suivante, en 2003, où 90% des demandes étaient désormais résolues en ligne, par 18 opérateurs de 8 à 19h00.

Le mur de la dématérialisation

Avec le développement d'internet, les différentes administrations ont évidemment pris le virage de la dématérialisation administrative des démarches. Une fausse bonne idée ? Le 7 décembre 2017, le JT régional 12/13 Côte d'Azur alertait déjà sur les oubliés de cette révolution numérique. Les demandes de cartes grises ne se faisaient plus au guichet de la préfecture, mais sur internet, comme la déclaration sur le revenu. Si ça paraissait plus simple, ce n'était pas toujours efficace comme le montrait ce reportage sur le parcours chaotique des usagers. Télépaiement, télédéclaration, à l'heure de la dématérialisation, les usagers, souvent des seniors dépassés, mais aussi des personnes n'ayant pas accès à internet, se sentaient délaissés.

« Et ça bugue, même quand on maîtrise l'outil », ajoutait le commentaire. Le reportage pointait les dysfonctionnements du site des cartes grises, avec l'exemple d'un homme qui depuis un mois essayait de transférer sa carte grise : coups de téléphone, courriers et déplacements en préfecture n'avaient rien changé. L'usager était désemparé : « il faut des humains derrière pour aider quand ça ne marche pas, quand même ! Avec personne derrière, ben, ça coince », ajoutait-il dépité.

Depuis quelques années, pour parer aux carences de la dématérialisation, certaines mairies ont décidé d'ouvrir des antennes d'aide administratives, à l'exemple de la mairie d'Oullins, comme six autres agglomérations de la métropole lyonnaise, qui propose depuis 2020 un service d'aide administrative pour ses habitants les plus démunis face aux démarches de plus en plus nombreuses à faire via les sites web des différents services administratifs. Un retour à la proximité qui semble porter ses fruits.

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