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1997, quand l'armée turque défendait la laïcité

1997, quand l'armée turque défendait la laïcité

Recep Tayyip Erdoğan a mis en cause « la santé mentale » d'Emmanuel Macron, après les mesures prises par la France après l'assassinat de Samuel Paty. En Turquie, l'armée a longtemps été garante de la laïcité, l'un des piliers de la Turquie moderne instituée par Atatürk en 1923.


Par la rédaction de l'INA - Publié le 26.10.2020 - Mis à jour le 26.10.2020
Islamisation en Turquie - 1997 - 03:13 - vidéo
 

L'histoire moderne de la Turquie est émaillée de coups d'état ou d'interventions plus ou moins directes de l'armée dans les affaires du gouvernement, comme ce fut le cas en 1960, 1971 et 1980.

L'une des raisons principales, outre l'état souvent difficile de la situation économique, en a été les tensions au sujet de la laïcité. Ce principe, au coeur de la République de Turquie proclamée par Atatürk en 1923, est en effet progressivement rejeté par une partie de la population, souvent issue du monde rural.

Devant les tentatives de certains gouvernements, démocratiquement élus, de favoriser un islam traditionnel, les militaires, gardiens de la laïcité et de la modernité du pays, réagissent en prenant en main les affaires du pays.

Il s'établit ainsi pendant de nombreuses décennies en Turquie une alliance originale entre l'armée, les étudiants et les bourgeoisies occidentalisées des grandes villes d'une part, et d'autre part des partis politiques, reflets d'une partie importante de la population au mode de vie plus traditionnel et religieux, qui veulent remettre en cause le legs moderniste et séculier d’Atatürk.

C'est ce qui arrive à nouveau en 1997, lorsque l'armée prend ombrage de la politique menée par le Premier ministre Necmettin Erbakan, le chef de file du parti du bien-être, premier parti islamiste à accéder au pouvoir.

Ainsi, le 28 février 1997, au Conseil de sécurité nationale, qui réunit à Ankara les plus hauts responsables politiques et militaires, des généraux rappellent au Premier ministre certaines lois, comme l'interdiction des habits religieux et le respect du principe de laïcité dans l'enseignement. 

Dans un reportage du 14 mars 1997, France 2 enquête à Istanbul sur les tensions au sein de la société turque entre les partisans toujours plus nombreux d'un islamisme politique et les tenants de la laïcité, comme les étudiants, mais aussi d'autres citoyens, comme Yasar Aksoy, un vendeur de tapis : « La loi doit être pour tout le monde. [En Turquie] il n'y a pas que des musulmans, il y a des israélites, des chrétiens, comme des Grecs orthodoxes qui habitent ici. C'est une mosaïque très colorée et une Turquie très laïque peut protéger tous ses membres ».

Avec son ami Hussein Ozmen, étudiant pratiquant un Islam de tolérance et d'ouverture, il manifeste tous les soirs dans le centre d'Istanbul pour « enrayer la vague islamiste ». Une manifestation alors autorisée par le pouvoir du Premier ministre Necmettin Erbakan, à condition qu'elle « ne dure qu'une seule minute ». 

Sami Cohen, éditorialiste au journal de centre-gauche Milliyet, dénonçait ainsi « l'infiltration des intégristes dans les cadres de l'administration, au sein des ministères et des municipalités ».

Sous la pression des militaires, Necmettin Erbakan est finalement contraint à la démission le 18 juin 1997. Dans les mois qui suivent, des lois protégeant la laïcité sont votées et la répression sur les religieux intégristes se renforce.

En 1998, le parti du bien être est dissous par la Cour constitutionnelle pour violation du principe de séparation entre l'Eglise et l'Etat. Necmettin Erbakan est alors condamné à un an de prison pour incitation à la haine religieuse. Une autre condamnation est prononcée pour les mêmes motifs : celle, pour dix mois de prison, à l'encontre de Recep Tayyip Erdoğan, alors maire d'Istanbul. 

En 2003, Recep Tayyip Erdoğan, le fondateur et leader du parti de la Justice et du développement (AKP), alors décrit en Europe comme « islamiste modéré », devient Premier ministre de la République de Turquie.

Aujourd'hui président de la République, Erdoğan continue le travail de sape voulu par les anciens chefs de partis islamistes contre la laïcité en Turquie. En outre, réveillant chez ses concitoyens la nostalgie de l'empire ottoman, il se veut le leader du monde musulman sunnite, à l'image du sultan, qui fut également pendant de nombreux siècles calife (entre le 16e siècle et 1924, date de son abolition par Atatürk), l'institution suprême de la religion musulmane. 


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