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1994 : la mise en garde contre l’avènement de la « civilisation virtuelle »

1994 : la mise en garde contre l’avènement de la « civilisation virtuelle »

Le premier rapport exploratoire sur le Métavers a été remis le 24 octobre 2022 au gouvernement. Ce document tente de définir le concept de ce qui est considéré comme le futur d’internet, mais aussi ses opportunités, ses limites et ses enjeux. Le basculement dans le monde virtuel et ses conséquences, le chercheur de l'INA Philippe Quéau l'expliquait au début des années 90.

Par Cyrille Beyer - Publié le 29.10.2021 - Mis à jour le 26.10.2022
 

L'ACTU.

Par une lettre de mission en date du 14 février 2022, le Ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, la Ministre de la Culture ainsi que le Secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques avaient souhaité la mise en place d'une mission exploratoire sur le développement des Métavers, ces univers virtuels qui vont modifier nos modes de vies. Des avatars aux jumeaux numériques, des crypto-actifs aux casques de réalité virtuelle, le développement des Métavers va bouleverser les usages d’Internet et le rapport de nos sociétés au virtuel. Entre opportunités et risques, le rapport s’attache à donner des clés de compréhension. À ce titre plus de 80 personnalités (entrepreneurs de la réalité virtuelle et de la blockchain, acteurs culturels, artistes, professionnels du jeu vidéo, chercheurs en sciences sociales, en intelligence artificielle et en informatique), ont été consultées pour clarifier le débat.

L'ARCHIVE.

Ce nouveau monde qui s’annonce, certains, travaillant le plus souvent dans le domaine des nouvelles technologies, l’avaient prédit il y a plus de vingt ans. En 1994, déjà, alors que le Web n’en était qu’à ses balbutiements. Philippe Quéau, directeur de recherche à l’Institut national de l’audiovisuel (INA), voyait dans les possibilités du virtuel ni plus ni moins que l’avènement d’une « nouvelle civilisation ». Dans l'extrait en tête d'article, issu de l'émission « Envoyé Spécial » du 17 février 1994, il expliquait parfaitement ce que serait ce monde virtuel concomitant du réel : « Le virtuel, c’est l’impression physique d’être dans l’image, mais le plus important, c’est le fait d’être dans un monde. Un monde avec lequel on peut agir. Ce monde virtuel se situera à côté du monde réel, mais il sera aussi riche que le monde réel. On sera amené à vivre, à travailler, à jouer, à rechercher de l’information, à se faire des amis, à vivre en communauté [de façon] complètement virtuelle avec les quatre coins du monde. »

Ce tableau visionnaire des nouveaux usages du quotidien rejoint en effet l'une des définitions du terme « civilisation » donnée par Le Petit Robert, comme « l’ensemble des caractères communs aux sociétés les plus complexes ». Mais Philippe Quéau mettait aussi en garde contre les bouleversements que ce monde virtuel engendrerait dans notre rapport au monde : « À force de travailler dans le virtuel, […] nous allons finir par ne voir le réel qu’à travers les modalités, les schémas de pensée, les méthodes de travail qui marchent bien dans le virtuel, mais pas forcément dans le réel ».

Vertige et anticipation

En d’autres termes, « on risque de se virtualiser soi-même ». Face au vertige de ce nouveau monde « en train de se faire », Philippe Quéau rappelait l’importance de l’éducation et de l'anticipation. « Le risque que l’on peut avoir aujourd’hui, c’est de ne pas s’en préoccuper à temps et de rentrer à toute vitesse dans un monde nouveau sans avoir assez d’informations ou la sagesse nécessaire pour tout contrôler », disait-il.

L'entrée des géants du numérique tels que Meta dans l'univers du Métavers semble bien promettre des changements radicaux dans notre future relation au monde virtuel et le rapport remis au gouvernement formule une série de propositions et appelle à rassembler experts, acteurs privés et publics, chercheurs et citoyens pour en débattre.

Progrès ou barbarie ?

Un débat qui pourrait s'avérer mouvementé, à l'image de celui qui s'était déroulé en février 1997 sur le plateau du « Cercle de Minuit » animé par Laure Adler. Le sujet abordé ce soir-là était celui des risques liés au développement du virtuel : « Le destin des images : allons nous devenir prisonniers ». Parmi les invités en plateau, nous retrouvons Philippe Quéau opposé au cinéaste Jean-Marie Straub. On le voit dans l'archive ci-dessous, leur vision différente de l'impact du virtuel sur nos sociétés allaient les opposer violemment. Le philosophe de l'image défendait l'idée de progrès, évoquant « une capacité de distance à soi-même et d'abstraction » qui nous ferait « progresser ». Face à lui, Jean-Marie Straub se montrait excédé par ces propos, l'accusant de véhiculer le « plus grand mensonge de l'histoire de l'humanité » avant d'asséner : « continuez à courir en avant, vous courez à l'abîme ». Affirmant que la plus grande révolution serait de revenir dans le passé, il citait Charles Péguy : « Et la chétive pécore s'enfla si fort qu'à la fin elle creva ». Il se montrait surtout inquiet pour les générations futures.

Facebook devient Meta

Six ans après Google, qui avait choisi en 2015 de rebaptiser sa maison mère Alphabet, le groupe Facebook est devenu Meta. C’est Mark Zuckerberg, le patron du plus grand réseau social au monde, créé en 2004, qui en a fait l’annonce jeudi 28 octobre 2021, précisant que le nom des différents réseaux sociaux et messageries du groupe resterait inchangé (Facebook, Instagram, Whatsapp, Messenger).

Le choix du nom Meta symbolise pour l’entreprise de Palo Alto l'objectif de s’investir pleinement dans le développement du Métavers, qui représente selon Mark Zuckerberg le « futur de l’Internet ». Le Métavers, nous explique Les Echos, « se présente comme un monde en ligne virtuel et immersif », en partie « inspiré par la science-fiction, et notamment le roman Snow Crash (1992) de Neal Stephenson ou Ready Player One (2011) d'Ernest Cline ».

Sur Europe 1, le directeur général de Facebook France, Laurent Solly, a évoqué l’ampleur de cette révolution qui s’annonce : « Le Métavers, c’est quelque chose de nouveau pour la technologie, c’est le sentiment de la présence unique que ne procure pas aujourd’hui la technologie digitale. Par la création d’avatars, par l’utilisation de la réalité virtuelle, vous pourrez vous retrouver proches de ceux que vous aimez, […] assister à un concert à Los Angeles ou à New York, […] mener des réunions avec des collègues en Australie ou au Japon ». Ce « nouveau chapitre de l'internet », toujours selon les termes de Laurent Solly, « va bouleverser et changer le monde ».

Premier monde virtuel : « Second Life » :

Le risque d’addiction aux mondes virtuels, des millions de personnes l’ont déjà expérimentée, notamment avec le jeu « Second Life », lancé en 2003. « À son pic », nous rappelait le journal « Les Echos » en octobre 2021, « cet univers virtuel accueillait des centres de conférences d'IBM, des magasins American Apparel, des permanences politiques de candidats aux élections et un million de connexions simultanées. »

« Second Life », un monde virtuel. Un reportage du journal télévisé de 20h sur France 2, diffusé le 30 janvier 2007.

Le parti socialiste est sur « Second Life ». Un reportage de France 3 Metz du 16 février 2007.

Le marché de Noël de Strasbourg est sur « Second Life ». Un reportage de France 3 Alsace diffusé le 28 novembre 2007.

Première mondiale avec une représentation de l'Opéra de Rennes diffusée en simultané dans deux mondes virtuels. Un reportage du 7 janvier 2011 diffusé sur France 3 Pays de la Loire.

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