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1979 : le président d'EDF alerte sur le risque de fissure dans les centrales nucléaires

1979 : le président d'EDF alerte sur le risque de fissure dans les centrales nucléaires

16 réacteurs nucléaires sur les 56 que compte la France sont en arrêt pour travaux ou maintenance. RTE, le gestionnaire du réseau électrique, a demandé aux Français à réduire leur consommation d'électricité. Cette annonce intervient après l'identification de fissures sur la tuyauterie de plusieurs réacteurs. Les fissures, un risque qui était déjà identifié et décrit dès leur construction.

Par Florence Dartois - Publié le 17.01.2022 - Mis à jour le 13.03.2023
 

L'ACTU.

Vendredi 16 décembre 2022, EDF a annoncé du retard dans les travaux de maintenance de certains de ses réacteurs nucléaires qui ne pourront redémarrer avant février 2023 comme c'était prévu. La mise à l'arrêt de 16 réacteurs menace la France de connaître un black-out faute d'électricité. À la maintenance habituelle, retardée par la crise de la Covid-19, s'est ajoutée des arrêts provisoires après la détection d'anomalies dans certaines infrastructures, notamment des traces de « corrosion sous contraintes » et de micro-fissures sur la tuyauterie. L'entreprise a donc décidé de remplacer systématiquement les tuyauteries des types de réacteurs les plus exposés aux risques de corrosion, notamment sur certaines conduites de secours servant à refroidir le réacteur en cas d'urgence.

L'ARCHIVE.

Ces risques de fissures liés à la corrosion étaient déjà clairement identifiés, dès la construction des premières centrales nucléaires lancées en 1974, en pleine crise du pétrole. À l’époque, le gouvernement avait décidé d’assurer son indépendance énergétique en construisant un vaste parc de centrales, confiant l’édification du « tout-nucléaire » à EDF. C’est Marcel Boiteux, à la tête de l'entreprise depuis 1967 (jusqu’en 1979), qui fut chargé de normaliser la construction des centrales nucléaires sur l'ensemble du territoire français. Nommé à la présidence du conseil d’administration d’EDF en février 1979, il connaissait bien cette question.

Dans l’extrait que nous vous proposons en tête d'article, Marcel Boiteux décrivait quelle pouvait être l'origine probable de l'apparition de fissures dans les conduits menant aux cuves, notamment les différences de températures. Un risque clairement identifié dès cette époque comme le montre ses propos : « ces cuves sont soumises à des cycles thermiques. Quand l’usine est en pleine puissance, elle est chaude, quand elle est en faible puissance, elle est froide ». La température de l’eau chauffée par la fission des atomes d'uranium atteignant selon lui à 350 °C (elle est en fait de 320 °C). Il poursuivait : « Le résultat, c’est que l’acier est dilaté par la chaleur et contracté quand il fait moins chaud. Et c’est cette respiration thermique qui est en cause. »

Peu de fissures avant 40 ans

Le président d’EDF se voulait néanmoins rassurant, soulignant que ces risques étaient minimes, dans la mesure où les centrales auraient une durée de vie inférieure à celle où apparaîtrait une corrosion de l'acier et l’apparition des fissures. La longévité de l'acier avait été calculée « pour 12 000 cycles. Selon lui, il n'y avait aucun risque que l'on dépasse cette date butoir. C'était« totalement exclu », affirmait-il.

Jean-Louis Servan-Schreiber, qui menait l'interview, lui demandait de préciser la durée effective prévue pour une centrale : « 12 000 jours une centrale ? C’est-à-dire 40 ans ? ». Marcel Boiteux confirmait cette estimation, la minimisant même : « Oui, un peu plus de 30 ans. »

Marcel Boiteux décrivait ensuite la manière dont on avait calculé les risques et comment les « calculs volontairement pessimistes », avaient été établis. Selon ces études, « dans certains cas, la fissure ne débouchait que dans les 40-50 ans, ce qui n’a vraiment aucune importance. » rassurait-il, puisque dans l'esprit des concepteurs, les centrales n'étaient pas destinées à durer aussi longtemps.

Il déclarait que des calculs faits en laboratoire pour déterminer l'emplacement possible des futures fissures concernaient notamment les fissures des « plaques tubulaires », des plaques de 50 cm d’épaisseur placées dans « les échangeurs de chaleur des réacteurs », un poste stratégique.

Des micro-fissures déjà visibles

Dans la suite de cet entretien, ci-dessous, Marcel Boiteux expliquait qu’EDF avait déjà trouvé des traces de fissures dans les « tubulures des cuves », au niveau des embouchures « chaudes ». Elles étaient dues selon lui à une malfaçon dans le « beurrage », la technique de recouvrement de l’acier inoxydable. Mais une nouvelle fois, il rappelait que les centrales auraient une durée de vie limitée dans le temps avant d'être remplacées minimisant l'impact des fissures : « Les délais de propagations sont tels qu’il n’y a pas un vrai problème. »

D'autres fissures situées dans le « nez de tubulure », où résidait la plus grande tension, l’inquiétaient davantage. Il estimait qu’elles pourraient poser problème à l’avenir si l'utilisation des centrales se prolongeaient au-delà des « 12 000 cycles » prévus.

« Alors là, c’est plus embêtant » : « Effectivement les calculs montrent que dans ces nez de tubulure, dans les pires conditions, 12 000 cycles etc. les dites fentes pourraient déboucher dans 6 à 40 ans. » (Marcel Boiteux, président du conseil d'administration d'EDF (1975-1987)

Cette situation le préoccupait d'autant plus que les mesures effectuées sur des cuves avaient été réalisées en usine, et pas en fonctionnement, puisqu'aucune technique de mesure ni de réparation n’existait encore dans les centrales en activité.

En conclusion, Marcel Boiteux souhaitait tranquilliser les esprits à propos des fissures : « Là où on en a trouvé, ce n’est pas grave. Et là où c’est grave, on n’en a pas encore trouvé ! » À la fin de l'interview, il précisait qu'EDF était vigilant et avait mis en place des alertes, des « systèmes de mesures automatiques » qui permettraient à l'avenir de contrôler l'évolution des fissures dans le temps.

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