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Lorsque Alain Decaux racontait l'histoire à la télé…

Lorsque Alain Decaux racontait l'histoire à la télé…

Le 10 juillet 1969, un historien prenait l'antenne pour raconter l'Histoire avec un grand "H". Son nom : Alain Decaux. Le titre de l'émission : "Alain Decaux raconte". Ce programme allait captiver les téléspectateurs pendant près de vingt ans !


Par la rédaction de l'INA - Publié le 08.07.2019 - Mis à jour le 08.07.2020
 
Le 10 juillet 1969, un historien prenait l'antenne pour raconter l'Histoire avec un grand "H". Son nom : Alain Decaux. Le titre de l'émission : "Alain Decaux raconte". Ce programme allait captiver les téléspectateurs pendant près de vingt ans ! En 1999, il revenait sur cette aventure humaine et télévisuelle.

Le mystère de Cagliostro, l'enlèvement de Mussolini, l'affaire Cicéron, le procès de Sacco et Vanzetti, la Nuit des Longs Couteaux, les possédés de Loudun, la mort de Trotsky, l'affaire Stavisky, Fort Alamo, l'assassinat de Jaurès, les Révoltés du Bounty, le cuirassé Potemkine, Jack l'éventreur, l'Exodus ou encore, le putsch de Munich... Deux décennies durant, Alain Decaux va raconter la grande et la petite histoire, comme personne avant lui et sans jamais lasser son auditoire. Et pourtant, le dispositif des débuts est des plus simples. Il y a d'abord un physique presque austère qui n'a rien, a priori, de très télévisuel : grosses lunettes sombres sur le nez, costume gris et cravate sobre. Il est assis à son bureau, avec pour seul décor, une bibliothèque. Le futur académicien se tient face caméra, comme s'il dialoguait avec le spectateur assis derrière le poste de télé. Même si ses propos sont parfois illustrés de bancs-titres, de photos ou de gravures presque anecdotiques, c'est sa voix qui captive. Un talent de conteur qu'il a développé à la radio dès le début des années 50 où il a créé sur Paris Inter la célèbre émission La Tribune de l'Histoire.

Voilà comment, en 1999, dans Télé notre histoire, Alain Decaux évoquait les débuts de son émission télévisée, sobrement intitulée Alain Decaux raconte. Une aventure qui devait durer le temps d'un été et qui perdura deux décennies...

Quinze minutes d'histoire

L'historien raconte qu'il est arrivé sur la deuxième chaîne de télévision, qui ne s'appelait pas encore Antenne 2, grâce à Maurice Cazeneuve qui souhaitait une émission historique pour conclure la grille du soir de l'été, intitulée "Coda". Il lui propose de faire un quart d'heure, une fois par semaine. Maurice Cazeneuve l'avait repéré dans les débats menés avec André Castelot dans l'émission La caméra explore le temps ou dans Les bonnes adresses du passé. Il lui demande de raconter une histoire, mais sans tournage, ni documents illustratifs ! Un défi affirme-il : "parce que moi, je n'y pensais pas ! Je n'avais pas le culot d'y penser." Maurice Cazeneuve insiste : "Ce sera [le cadrage] sur votre visage…"

Alain Decaux, pourtant épouvanté par l'idée de se retrouver seul face caméra accepte, bien qu'il connaisse la règle en vigueur à l'époque à la télé : "jamais plus d'une minute sans images."

Maurice Cazeneuve le convainra finalement avec ces arguments : le programme sera court, diffusé en fin de soirée et conclut -il: "Vous ne courez pas grand risque…"

En ce début d'été 69, l'émission est donc tournée "à la bonne franquette", chez Alain Decaux lui-même, avec une petite équipe et des plans limités. Il s'étonne encore du succès immédiat de l'émission : "on a commencé à les diffuser et le miracle, c'est que contre toute attente… on les a regardé." Les critiques de la télé "ont vu le programme, l'ont apprécié et l'ont dit. Ce qui a donné une existence à l'émission."

Le succès au rendez-vous

Fort de ce succès, l'année suivante, Maurice Cazeneuve l'appelle pour reprendre la série estivale. Même réussite auprès des spectateurs si bien qu'à la rentrée, il propose à "l'homme seul de la télé" de poursuivre l'aventure toute l'année. Cette fois, il parlera une demi-heure car : "au bout d'un quart d'heure, on reste sur sa soif et tout le monde me le dit !".

Alain Decaux rempile avec la peur au ventre mais reconnait : "on ne refuse pas ces choses-là. Parce que c'est le métier qu'on vous offre quelque chose sur un plateau. Et qu'il faut quand même courir des risques. Si on ne les prend pas, on ne fait pas ce métier !"

En direct...

Mais l'aventure ne s'arrête pas là : "Et alors là, il me terrorise en me disant : "Vous me faites cette demi-heure en direct !... c'est plus périlleux, mais vous serez soutenu par le direct… Vous sentirez les gens qui sont derrière et ça vous stimulera."

Autant dire que l'historien avait de quoi avoir le trac ! Il confie avoir même éprouvé un véritable "sentiment de terreur".

... Avec la peur au ventre !

"Le trac, je sais ce que c'est. Je l'ai eu à ce moment-là mais de manière incoercible. Moi qui n'ai jamais fumé, j'ai fumé quelques cigarettes ! Avant les émissions, c'était effrayant et puis mon dieu, je l'ai fait."

Alain Decaux confie que pour se rassurer, il réclama quelques accessoires à Jean-Jacques Dedrumet son réalisateur : "On a poussé le raffinement à avoir des documents qui tournaient. Il y avait des choses que je tirais." Ça va donner de l'animation, certes, mais "Le trac augmentait d'autant plus car il ne fallait pas que j'oublie mon chemin, ou que je me trompe… Je sortais de là dans un état proche du coma !"

Au bout de trois émissions, un critique de Paris Presse écrit : "tout cela est très bien mais pourquoi Alain Decaux a-t-il besoin de tout ce bric-à-brac ?" Vexé par cette critique, l'animateur change son fusil d'épaule :  "le lendemain, je téléphonais à Dedrumet et je lui disais : c'est fini, je ne bougerai plus de mon siège. Je reprends les plans d'avant, seulement on passera des diapos… A partir de ce moment-là, l'émission a pris sa forme et elle s'est faite comme ça."

Les contraintes et les bonheurs

Alain Decaux relate ensuite la préparation de chaque émission pour laquelle il devait beaucoup lire. Il déplore alors que : "Pendant les dix-neuf ans qu'a duré l'émission, je n'ai jamais pratiquement lu pour mon plaisir… Je l'ai fait parce qu'il fallait le faire et que cette émission, j'étais heureux de la faire.

Des étoiles dans les yeux, il évoque aussi sa relation fusionnelle avec les téléspectateurs : "Ça m'a apporté un bonheur immense. Et puis les relations avec les téléspectateurs, l'amitié des téléspectateurs. Leurs sourires… des choses qu'on ne peut vivre qu'à la télévision. Aucun autre moyen d'expression ne donne ça."

... et sans notes !

Sa semaine était bien huilée… Pendant quatre jours, il réfléchissait à l'ordonnancement de sa trame et les trois derniers jours, il rédigeait un long plan déroulant l'histoire. Au bout d'un an, l'émission est passée à 45 minutes puis à une heure la saison suivante, sans poser quelques problèmes de logistique…

"J'arrivais à quelque chose de démesuré. Il fallait en savoir beaucoup pour pouvoir tenir une heure et en direct… en faisant un plan, le déroulement que je m'étais fixé se déroulait dans ma mémoire. Je n'apprenais par cœur que les dates et les noms des personnages." Il raconte d'ailleurs que son record de mémorisation c'est le récit de la capitulation du Japon en 1945 et le drame d'Hirohito face à ses généraux qui ne voulaient pas capituler : "Il y avait 45 noms japonais à mémoriser !

Dans ce "jour le plus long au Japon", en fin d'émission, il laisse monter l'émotion en jouant sur les modulations de sa voix comme ici, où un silence conclut le récit. 

"Je demande pardon à tous ceux que j'ai mis à si rude épreuve."

Il poursuit : "Le matin de l'émission je faisais, à partir de ce plan d'une dizaine de pages, un plan qui n'en faisait plus que deux... pour que ce soit très précis dans ma mémoire."

A 16 heures, il arrivait au studio et seule la documentaliste, qui avait recherché les illustrations le matin même, connaissait le contenu de l'histoire du jour : "C'était terrible pour elle parce que j'avais modifié mon plan… et alors elle courait chez Viollet, Gamma, Sygma… le matin même… On lui passait des originaux, qu'elle rapportait le soir ! Là aussi, c'était le cirque…"

Il donnait alors son plan final à l'équipe et le direct débutait : "Et ça se passait souvent très bien, mais quand je bouleversais le plan, c'était terrible !"

Il raconte ici une anecdote sur l'émission consacrée à la Galigaï, l'épouse de Concini et favorite de Catherine de Médicis qui a été brûlée vive, dans laquelle il avait oublié un point essentiel, et avait décidé, sans avertir son équipe, de rajouter le passage en question, semant la zizanie en régie : "Et là-haut, ça a été la folie. On m'a raconté ça ensuite… et ça a marché, on ne s'est aperçu de rien. Je demande pardon à tous ceux que j'ai mis à si rude épreuve."

Le "prime-time", un nouveau défi…

En 1981, Pierre Desgraupes devient président de la chaîne et Alain Decaux lui demande de moderniser l'émission en incluant des séquences vidéo, notamment pour les sujets contemporains. Desgraupes accepte mais s'il lui alloue sans rechigner un budget plus conséquent, il décide aussi de le diffuser en début de soirée ! "Mais là, tout à coup, on me proposait 20h30 ! Nouvelle terreur ! J'ai eu dans cette émission Alain Decaux raconte, des moments d'inquiétude. Là, c'est moi qui le demandait mais je ne pensais pas que ça allait avoir pour conséquences : 20h30 !"

Cette fois, plusieurs réalisateurs vont se relayer sur l'émission qui nécessite désormais du tournage, du montage et du mixage. L'audience bat toujours des records et ce, malgré les chaines concurrentes. La diffusion va durer encore deux ans. Finalement Pierre Desgraupes décidera de stopper le programme en plein succès face à la montée des films et des divertissements sur les chaines concurrentes : "Il m'a dit : "Bon, on va se casser la gueule. On va prendre les devants. Tu retournes en exil… à dix heures. Ça sera mieux pour toi parce que les gens qui ont fini le film, la variété, passeront chez Decaux." Il ajoute, "Et je suis retourné en deuxième partie de soirée. Ça a duré jusqu'en 1988, dix-neuf ans!"

Une longévité incroyable pour un programme sur l'histoire peu illustré mais toujours brillamment raconté.

Pour aller plus loin : quelques temps forts d'"Alain Decaux raconte"

Ce 10 juillet 1969, lors du premier volet de l'émission, très souriant devant ses livres reliés, Alain Decaux évoque la disparition de Lionel Crabb, l'homme grenouille…

La particularité de ce présentateur hors norme, c'est peut-être sa proximité avec son public. Il n'hésite pas à traiter des sujets réclamés par son audience comme il le précise au début de son émission consacrée à Louis XVII en 1971. Le plan large a remplacé le gros plan et le studio, très 70's, est décoré de portraits de personnalités historiques.

Alain Decaux possède un talent de conteur indéniable. Ses récits n'ont rien de factuels, bien au contraire. L'animateur tient son audience en haleine car il a le talent de faire revivre les faits à travers ses mots choisis et ses intonations. Voilà un exemple de sa fougue légendaire, alors qu'il relate l'un des épisodes qui a jalonné la Première Guerre mondiale : l'état de menace de guerre décrété par Guillaume II et la réaction de Jean Jaurès.

D'autres contenus sur Alain Decaux

Alain Decaux raconte, première émission, 10 juillet 1969

Entretien web "Télé notre histoire" en intégralité (web)

La tribune de l'histoire (Audio)

La dernière d'Alain Decaux raconte (13 septembre 1992)

Toute notre offre vidéo et audio Alain Decaux

la bande-annonce "Alain Decaux raconte"  et l'émission Alain Decaux Raconte à retrouver sur ina Premium.

Florence Dartois


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