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Le particularisme catalan au fil des siècles

Le particularisme catalan au fil des siècles

La Catalogne votait ce dimanche pour renouveler son parlement. Si le parti socialiste arrive tête, l'ensemble des formations indépendantistes obtiennent la majorité absolue. Le 1er octobre 2017, déjà, la victoire du « oui » au référendum - jugé illégal par Madrid - sur l’indépendance de la Catalogne avait stupéfait l'Espagne et l’Europe toute entière, traduisant la force du sentiment identitaire d’une région pourtant liée à l’état espagnol depuis des siècles. 

Par Cyrille Beyer - Publié le 01.02.2018 - Mis à jour le 15.02.2021
CATALOGNE - RÉSULTAT ÉLECTION - 2017 - 02:03 - vidéo
 

Sur le court terme, le désir d’indépendance partagé par une partie de la population de la région remonte à une dizaine d’années. Le rejet par la Cour constitutionnelle en 2010 de quatorze articles du nouveau statut renforçant l’autonomie de la Catalogne, adopté en 2006 par la majorité socialiste du Parlement espagnol, représente le point de rupture entre une partie des Catalans et Madrid. La censure par la Cour constitutionnelle espagnole du concept de « nation catalane » ou de l’usage préférentiel de la langue catalane dans les médias et l’administration, est perçue par de nombreux Catalans comme une non reconnaissance de leur identité.

En 2014, une consultation populaire sur l’indépendance est remportée à 80 % par le camp du oui (mais avec une très faible participation). En 2015, les indépendantistes remportent pour la première fois les élections régionales. L’identité catalane est au centre du débat et les revendications d’indépendance se font sans cesse plus pressantes, jusqu’au référendum du 1er octobre 2017.

Mais de quelle identité parle-t-on ? A quoi se réfèrent ceux qui réclament un état indépendant pour la Catalogne ? A une langue, bien sûr, différente du castillan, et à une histoire, que nous allons ici évoquer, que l’on peut faire remonter au Moyen Age.

La Catalogne au Moyen Age : aux origines du particularisme catalan (IXe-XIVe siècles)

L’empire carolingien de Charlemagne bute au sud-ouest de son immense territoire sur l’Espagne musulmane d’El-Andalus. Sur sa frontière, qu’on nomme Marche d’Espagne, qui correspond à l’est du massif pyrénéen, se développent des comtés, dont le plus important est le comté de Barcelone, vassal des Carolingiens.

Lorsque la dynastie carolingienne s’éteint et que le pouvoir franc passe aux mains d’Hugues Capet, en 987, les comtes de Barcelone ne reconnaissent pas sa suzeraineté, marquant ainsi leur particularisme et ancrant leur destin au sein de la péninsule ibérique. C'est à cette époque que le comté de Barcelone prend un rôle essentiel dans les débuts de la « Reconquista », l'expansion chrétienne vers le sud pour reprendre les territoires ibériques conquis par les Arabes au VIIe siècle.

C’est aussi à partir de cette période que se développe un art roman très riche dans la région, aussi bien dans l’actuelle Catalogne qu’au nord des Pyrénées, dans l’actuel Roussillon, alors lié politiquement au comté de Barcelone. Cette dernière est appelée à partir du XIIe siècle principauté de Catalogne.

Date fondamentale, 1137 voit le mariage du comte de Barcelone Ramon Berenguer IV et de l'héritière du tout proche Royaume d'Aragon. C’est la naissance de la Couronne d’Aragon, qui regroupe alors, de façon quasi fédérale, l’ensemble catalan et l’ensemble aragonais, chaque entité gardant ses particularismes et son autonomie. Berenguer livre bataille avec les Castillans contre les Arabes ; champion de la « Reconquista », il est alors le souverain catholique le plus puissant d'Espagne, et les années qui suivent son règne marquent également l'apogée de l'expansion catalano-aragonaise au nord des Pyrénées.

En 1213, la bataille de Muret marque la fin brutale de ces prétentions territoriales sur le Languedoc : le roi Pierre II meurt en défendant ses vassaux dans le contexte de la croisade contre les Albigeois. L'événement signifie en conséquence le début de la prééminence française sur l’Occitanie.

Dans Histoire de la Catalogne (éditions PUF), Michel et Marie-Claire Zimmermann résument ainsi ce moment clé dans l'histoire de la région : « La Catalogne quitte l'espace franc dans lequel elle a pris naissance pour s'ouvrir à l'expansion méditerranéenne ».

A partir des années 1220, le roi Jacques 1er, surnommé « le Conquérant » pour ses avancées face aux musulmans, va symboliser l'âge d’or de la Catalogne médiévale, en s'emparant des îles Baléares et de la région de Valence.

Dès lors, la Catalogne se développe comme un grand ensemble prospère. Les ports de Barcelone, de Valence, de Majorque, font apparaître une grande puissance économique méditerranéenne. C’est le grand moment de référence pour les Catalans : Du XIIIe au XVe siècles, Barcelone rayonne comme une thalassocratie sur la Méditerranée.

L’Union avec la Castille et la centralisation espagnole (XVe-XVIIIe siècles)

Un autre mariage va marquer un tournant décisif dans l’histoire de la Catalogne et de l'Espagne : en 1469, le roi d'Aragon Ferdinand II et la reine de Castille Isabelle la Catholique se marient et scellent l'union entre les deux couronnes, prélude à la constitution de l'Espagne moderne.

Même si cette union se fait sur une base de type fédérale, où chaque entité constitutive garde une grande autonomie, la découverte de l'Amérique en 1492 au nom de la Castille va considérablement renforcer la prééminence politique de Madrid.

En 1659, la France et l’Espagne, ennemis héréditaires, se réconcilient. Avec le traité des Pyrénées, la France récupère définitivement les régions de culture catalane situées au nord des Pyrénées, correspondant à la province historique du Roussillon.

Mais le plus dur pour la Catalogne reste à venir. Le dernier Habsbourg espagnol sur le trône à Madrid, Charles II, meurt en 1700. La France, alors puissance dominante en Europe, veut placer l’un des siens sur le trône d’Espagne, en la personne du petit-fils de Louis XIV. Or, une partie de l’Espagne ne souhaite pas être gouvernée par les Bourbons français. C’est le cas de la Catalogne, qui choisit le camp opposé, les Habsbourg d’Autriche.

De 1701 à 1714, la guerre divise l’Europe. Le camp franco-castillan remporte la partie. Le 11 septembre 1714, ses troupes enlèvent Barcelone après l’avoir assiégée. Ce jour, qui marque pourtant une défaite pour les Catalans, devient leur fête nationale, connue sous le nom de « Diada ».

Avec la victoire du petit-fils de Louis XIV, qui monte sur le trône à Madrid sous le nom de Philippe V, les provinces espagnoles perdent leur autonomie, le nouveau roi choisissant une monarchie centralisatrice à la française.

Mais alors que politiquement la Catalogne apparaît effacée, ce XVIIIe siècle apparaît au contraire comme un renouveau pour la région, dynamique aussi bien économiquement que démographiquement. Si bien qu’au début du XIXe siècle, la Catalogne est bien plus avancée que les autres régions espagnoles, y compris la Castille.

Le renouveau de l’identité catalane (XIXe-XXe siècles)

La première moitié du XIXe siècle voit la perte par l’Espagne d'une grande partie de son immense empire colonial. Un coup dur pour l’économie catalane qui tirait de cet empire son dynamisme économique. Mais alors que l’Espagne rate le coche de l’industrialisation, la Catalogne se modernise.

Culturellement, la région voit l’essor d’un renouveau littéraire à partir du milieu du XIXe siècle : une avant-garde littéraire qui exalte la langue catalane et qui prend à la fin du siècle une coloration particulièrement politique en revendiquant son identité catalane vis-à-vis du reste de l’Espagne, notamment après le désastre espagnol de 1898 face aux Etats-Unis et la perte de Cuba.

Cette volonté d’autonomie se traduit politiquement en 1932 lorsque la jeune Seconde République espagnole accorde à la région son premier statut d’autonomie sous le nom de « Généralité de Catalogne ». La région, qui se range naturellement dans le camp républicain pendant la terrible guerre civile, est envahie par les troupes de Franco en 1939.

La langue et la culture de la région ne peuvent que subsister clandestinement pendant la dictature. Mais les dernières années du régime voient un renouveau identitaire particulièrement important qui éclot avec la mort du caudillo en 1975. La culture catalane s'exprime alors à travers les chansons, la littérature, la qualité de ses maisons d'édition.

En 1977, le rétablissement de la Generalitat de Catalogne

En septembre 1977, le nouveau gouvernement démocratique du roi Juan Carlos reconnaît à nouveau la Généralité de Catalogne, et rétablit donc son autonomie supprimée par le général Franco en 1938.

La généralité de Catalogne
1977 - 03:14 - vidéo

Depuis, les relations entre Madrid et Barcelone ont été marquées par une autonomie sans cesse plus revendiquée, notamment par le biais de l'enseignement de la langue catalane, véritable enjeu idéologique et politique.

Quel que soit le futur de cette région, son histoire, sa langue et sa culture, s'ils se sont souvent opposés au centralisme madrilène, font partie de la riche et longue histoire espagnole. Le moment actuel de revendication nationale de la Catalogne peut donc être perçu comme la maturation d'un processus apparu au XIXe siècle, revendiquant une histoire pluri-séculaire, et proposant un modèle à contre-courant d'autres pays européens, comme l'Allemagne et l'Italie, où des régions à la culture très disparate s'unifièrent sous l'égide d'un pouvoir centralisateur et d'une même langue.

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