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Karl Marx, penseur contemporain

Karl Marx, penseur contemporain

Karl Marx naissait il y a deux cent ans, le 5 mai 1818. Sa pensée et ses écrits ont profondément marqué son temps, car il fut le premier à analyser aussi finement les conséquences sociales et politiques de la révolution industrielle en marche dans les pays d’Europe occidentale. De Raymond Aron à Alain Minc, de nombreux intellectuels on analysé ses idées et souligné sa modernité.

 

Par Cyrille Beyer - Publié le 04.05.2018 - Mis à jour le 05.05.2018
Ce jour là Karl Marx - 1968 - 03:32 - vidéo
 

En Allemagne, à Paris où à Londres, Karl Marx n’a eu de cesse de réfléchir à la condition sociale misérable du monde ouvrier, ce « prolétariat », asservi au système capitaliste de production.

Au XXe siècle, sa pensée a été revendiquée par de nombreux régimes communistes à travers le monde, si bien que le qualificatif de « marxiste » est devenu un synonyme de « communiste », faisant souvent oublier la complexité de son œuvre.

Aujourd’hui, au XXIe siècle, période où la mondialisation économique atteint les lieux les plus reculés de la planète, nous redécouvrons la pensée d’un Karl Marx analyste expert et critique du fonctionnement de la société capitaliste.

Deux cent ans après sa naissance, ses analyses économiques restent d’une actualité brûlante, à tel point que de nombreux intellectuels contemporains estiment qu’il explique parfaitement la crise des subprimes, les déséquilibres sociaux induits par la mondialisation, la marchandisation de la culture…

L'occasion de revenir sur la modernité de Karl Marx, des années 1970 à aujourd'hui, entre adhésion, critique ou rejet, à travers une sélection d'interviews de personnalités inspirées par ses écrits.

« J'aurais voulu devenir marxiste »

Raymond Aron s'est toute sa vie intéressé aux sciences politiques. La lecture de Marx a été marquante dans sa formation intellectuelle, comme il l'explique dans cette interview en 1974 pour l'émission « Variances » : « Je ne peux pas, moi qui suis un homme de pensée, me déclarer socialiste sans étudier le socialisme et l’économie politique ». Une lecture critique qui se révélera décisive dans sa construction intellectuelle : « Alors j’ai étudié l’économie politique et le marxisme, et je vous assure, avec bonne volonté : j’aurais voulu devenir marxiste. »

Raymond Aron sur l'étude du marxisme
1974 - 02:43 - vidéo

Passionné, mais finalement peu convaincu par la grille de lecture proposée par Karl Marx pour comprendre le monde : « J’ai conclu avec regret que ça ne me paraissait pas vrai. Je ne suis pas devenu de ce point de vue anti socialiste, mais j’ai considéré que le choix socialiste était un choix tout aussi arbitraire qu’un autre. Et qu’à partir de ce moment pour choisir le socialisme, il fallait comparer les avantages respectifs des diverses organisations de l’économie. »

Raymond Aron a donné plusieurs cours sur la pensée économique et philosophique du penseur allemand qui seront rassemblés dans un livre, intitulé Le Marxisme de Marx.

Lire Marx pour mieux comprendre la politique

En 1970, date à laquelle François Mitterrand évoque Karl Marx au cours d'une interview pour l'émission « Bibliothèque de poche », le monde est encore, à bien des égards, en partie marxiste. L'URSS règne encore sur une partie de la planète et le marxisme politique continue de fournir une grille d'analyse à de nombreux intellectuels et hommes d'état en Europe occidentale. Pour tout dirigeant socialiste, la lecture de Marx reste essentielle pour participer au débat d'idées.

Une lecture de Marx que François Mitterrand effectue d'ailleurs à travers l'analyse de Raymond Aron : « Je ne trouve pas de meilleure explication du marxisme que dans Raymond Aron, qui passe son temps précisément à démolir cette explication. »

Alors que les années 1970 sont marquées par la remise en question dans la gauche française et européenne du modèle stalinien, définitivement dénoncé par la publication de L'archipel du goulag, d'Alexandre Soljenitsyne, en 1973, on comprend la posture d'un François Mitterrand qui cherche à revendiquer l'héritage marxiste tout en se démarquant de son application stalinienne :

« Je crois en effet que tout ce qui touche à la remise en question permanente des données révolutionnaires est inhérent au sens même de la révolution, et que tout ce qui la fige dans une bureaucratie ou un ordre nouveau est en soi la négation même de l’effort. »

François Mitterrand fut l'homme du Congrès d'Epinay en 1971, celui qui, pour prendre la tête du parti socialiste déclara à la tribune : « Celui qui n'accepte pas la rupture avec l'ordre établi, avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, ne peut pas être adhérent du Parti socialiste. »

Une conquête du pouvoir et une alliance avec le parti communiste qui emprunteront beaucoup à la phraséologie marxiste. Mais dans la réalité de l'exercice du pouvoir, François Mitterrand se démarquera radicalement du marxisme politique de son époque.

Penser le monde post communiste

Avec la chute du Mur de Berlin, l'analyse de la pensée de Karl Marx va prendre un nouvel essor. Les régimes communistes qui se réclamaient du philosophe allemand tombent, mais paradoxalement son analyse économique sur la mondialisation triomphante du tournant du XXIe siècle semble extrêmement pertinente et moderne. Karl Marx redevient donc un auteur essentiel pour comprendre le monde.

« Marx avait raison sur tout, sauf sur quelques unes de ses conclusions. » Pour l'économiste Bernard Maris, « Marx décrit merveilleusement bien le fonctionnement de l’économie, [...] il aurait décrit parfaitement la crise financière (des subprimes de 2008-2009), il suffit de [le] relire pour voir ce qu’il s’est passé pendant la crise financière ».

Bernard Maris à propos de Marx
2010 - 06:27 - vidéo

Mais Bernard Maris est en revanche plus critique quant à la vision philosophique de Karl Marx, ses propositions pour dépasser les contradictions du capitalisme et proposer un nouveau modèle de société. Bernard Maris reproche notamment à l'auteur du Capital sa vision chrétienne et fraternelle de l'homme idéal, selon lui utopique puisque irréaliste :

« Je me rends compte que sa vision du communisme, c’est-à-dire cette société qui devrait succéder au capitalisme, est [...] un peu naïve et chrétienne. Ce que Marx souhaite c’est un homme fraternel, qui aura dépassé les conflits et [...] aboli le mimétisme et sera une espèce d’homme passionné, [...] artiste le matin, travailleur le soir, hédoniste à midi. Cette vision [...] est utopique, mais au mauvais sens du terme, c’est-à-dire vraiment une rédemption des hommes, un christianisme athée. »

« Des idées plus modernes que jamais »

Jacques Attali, qui a consacré à l'auteur du Capital une biographie, Karl Marx ou l'Esprit du monde (Fayard, 2005), retient les idées pénétrantes de Karl Marx sur la mondialisation des échanges et la mise en place d'un système financier mondial : « Marx prévoyait de façon extraordinaire et passionnante la mondialisation, un monde rassemblé avec un capitalisme qui se développerait de façon mondiale, qui créerait des grands groupes et entraînerait des délocalisations, toute une série de conséquences que nous vivons aujourd’hui. »

Jacques Attali veut retenir des enseignements de Karl Marx la nécessité de penser une gouvernance mondiale pour prendre à bras-le-corps les grands défis posés par les déséquilibres de la mondialisation et « repenser le socialisme autrement, [...] non pas comme une façon de répartir la rareté et de sortir de la rareté, mais par la gratuité, par la responsabilité, par la liberté, qui est un programme à la fois utopique et extrêmement concret pour aujourd’hui ».

« Marchandisation de la culture »

Pour Alain Minc aussi, la pensée de Karl Marx reste étonnamment moderne pour penser la crise de la mondialisation : « C’est le seul qui a compris que l’économie et la société, c’était indissociable, et que pour comprendre l’économie, il fallait s’interroger sur ce qui fait la vie de tout un chacun, et au fond je crois qu’on ne le dépassera jamais. »

La société contemporaine, qui voit les lois du marché pénétrer peu à peu tous les secteurs de l'économie, jusqu'à présent en dehors de la concurrence, est justement à l'image de ce qu'il écrivait dans le Manifeste du parti communiste (1848), un texte où, selon Alain Minc, « on explique exactement ce qui est en train de se passer, la marchandisation de la culture […] Il avait compris que le capitalisme produit de l’efficacité et de l’inégalité ».

Alain Minc à propos de Karl Marx
2004 - 01:44 - vidéo

Deux-cent après sa naissance, dans un monde où les lois de l'économie influent plus que jamais sur le destin des hommes et la marche du monde, Karl Marx reste un auteur essentiel à la compréhension de notre société. Une façon de réaliser aussi à quel point notre XXIe siècle est né au XIXe siècle, avec la révolution industrielle et les innombrables conséquences sociales, psychologiques et politiques qui en ont résulté.

Pour aller plus loin :

Le 17 avril 1968, le romancier britannique Lawrence Durell évoque pour l'émission « Bibliothèque de Poche » Marx, mais également Groddeck, Jung, Keyserling, Freud, Chestov.

Le 16 avril 1979, dans l'émission « Politique et littérature », Jean-Pierre Chevènement parle de Karl Marx.

Le 2 juin 1997, sur le plateau de l'émission « Le cercle de Minuit », Gilles Ben Aych s'exprime sur l'importance donnée à Karl Marx par certains peuples.

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