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Jean Daniel, "la vérité me paraît de plus en plus complexe"

Jean Daniel, "la vérité me paraît de plus en plus complexe"

Emmanuel Macron préside ce vendredi l'hommage national rendu à Jean Daniel aux Invalides. Fondateur et directeur de la publication du "Nouvel Observateur" jusqu’en 2008, Jean Daniel avait une vision très claire du rôle de l'éditorialiste qu'il était. En 1976, il décrivait sa relation à la vérité, socle de son engagement journalistique.


Par la rédaction de l'INA - Publié le 20.02.2020 - Mis à jour le 25.02.2020
Jean Daniel éditorialiste - 1976 - 02:56 - vidéo
 
Fondateur et directeur de la publication, jusqu’en 2008, du "Nouvel Observateur", Jean Daniel avait une vision très claire du rôle de l'éditorialiste qu'il était. En 1976, il décrivait sa relation à la vérité, socle de son engagement journalistique.

Journaliste dès la fin de la guerre, Jean Daniel décide en 1964, avec l’industriel Claude Perdriel, de reprendre France Observateur pour le transformer en hebdomadaire de "deuxième gauche" : le Nouvel Observateur. Dans ses pages, tous les grands thèmes et combats sociétaux seront abordés : de la légalisation de l’avortement, aux droits des homosexuels, en passant par la lutte contre le racisme... Il restera directeur de la publication jusqu’en 2008, ensuite il continuera à écrire dans ses colonnes comme éditorialiste. Une fonction à laquelle il réfléchissait depuis longtemps déjà.

Ainsi, en mars 1976, dans l'émission La part de vérité, sur TF1, Jean Daniel se confrontait à la question épineuse de la vérité et de la manière dont le journaliste peut la retranscrire. Une question évolutive dont il percevait déjà la complexité: "La vérité me paraît de plus en plus dans le complexe, dans le contradictoire."

Il poursuivait : "En ce moment, dès qu'on arrive à la synthèse, il faut retourner très vite à la contradiction, à la thèse et à l'antithèse."

Mais ce qui stimulait cet humaniste, c'était autre chose. Au-delà des réponses ou des convictions : "C'est vrai que j'ai tendance, en ce moment, et peut-être comme toujours, à chérir davantage les questions que les réponses."

Un point de vue étonnant pour un éditorialiste censé justement apporter des réponses à ses lecteurs. Sa référence, un éditorialiste américain: "Peut-être cela vient du fait que j'occupe des fonctions d'éditorialiste et l'un des plus grands éditorialistes qui ait jamais existé, un Américain, Walter Lippmann, disait que notre métier consistait à faire peu sérieusement des choses qui vous invitaient à vous prendre au sérieux. Et Dieu sait pourtant, si Walter Lippmann était un homme savant dans les sciences politiques, mais il disait que devant sa table, au moment d'écrire un éditorial sur le ton sentencieux, donneur de leçon, magister - enfin, c'est une fonction un petit peu magistrale - Eh bien, il faisait la somme de ses ignorances, la somme de ses lacunes. Il pensait à tous les livres qu'il aurait voulu lire. Comme c'est mon cas."

Etre éditorialiste, pour Jean Daniel, c'était avant tout une ouverture au monde : "Après, dans ces moments-là, on n'a pas du tout envie d'être militant, d'écarter du réel tout ce qui ne sert pas votre cause. On a envie de s'inviter soi-même à une certaine modestie et plus on est éditorialiste, plus on a envie de s'ouvrir."

Un métier qui loin d'ouvrir justement, risque parfois de vous enfermer, comme le constatait cet esprit curieux : "Le reste, au moment où l'on quitte cette page, au moment où l'on quitte cette fonction… si vous voulez, je crois que ce sera peut-être subjectivement plus important. Je me suis senti toujours un peu atteint de claustrophobie. Quand j'étais enfermé à l'intérieur d'un camp, fut-il le camp le plus juste, celui que je crois être celui du socialisme. Le camp des opprimés, des victimes. J'ai toujours envie de regarder au-delà, par-dessus la barrière, pour voir si un bras ne se tend pas, qu'on n'a pas saisi, un visage ne nous regarde pas, qui a une lumière. Une idée (...) au-delà de nous, que nous avons refusé, qui pourtant nous enrichirait."

Mais alors comment vivre son métier d'éditorialiste avec ses doutes et ses infinis possibles ? Sa réponse : "Si vous voulez, avant, je vivais dans l'écartèlement parce que c'était la traduction intellectuelle de la contradiction et puis, depuis que j'ai découvert que la vérité était cette contradiction, je vis dans une sorte, non pas d'harmonie, mais de quasi sérénité, je crois."

Une conclusion aux airs quasi bouddhistes, assez proche du concept d'impermanence que maniait visiblement très bien cet adepte du yoga : "J'ai la quasi-certitude que c'est au travers de cette contradiction que je m'approcherais le plus du réel."


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