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Glozel, l'affaire Dreyfus de l'archéologie

Glozel, l'affaire Dreyfus de l'archéologie

Ina.fr vous emmène à la rencontre de la France mystérieuse et de ses légendes. Cette semaine, direction Glozel où en 1924 furent découverts d'étranges artefacts qui allaient provoquer l'une des plus vives controverses de l'archéologie.


Par la rédaction de l'INA - Publié le 21.08.2018 - Mis à jour le 11.04.2019
 
Ina.fr vous emmène à la rencontre de la France mystérieuse et de ses légendes. Cette semaine, direction Glozel où en 1924 furent découverts d'étranges artefacts qui allaient provoquer l'une des plus vives controverses du monde archéologique… 

"J'ai trouvé un crâne presque entier que je regrette, parce que je l'ai remonté à la maison mais ma grand-mère a pas voulu que je le rentre à la cuisine car elle avait peur…"

Personne ne parlerait du petit hameau de Glozel, ce lieu-dit perdu dans la montagne bourbonnaise, entre Arronnes et Le Cheval-Rigond, si une étonnante trouvaille ne s'y était déroulée le 1er mars 1924.

Ce jour-là, Emile Fradin, 17 ans et son grand-père labourent leur champ à l'aide d'une charrue tractée par des vaches. Le terrain est situé à Glozel, un lieu-dit de la commune de Ferrières-sur-Sichon dans l'Allier. L'une des vaches se coince la patte dans un trou. Cet incident anodin va susciter plus d'un siècle de polémiques, de débats enfiévrés et même provoquer un assassinat. La guerre entre les "glozéliens" et "anti-glozéliens" va faire rage !

Pourquoi ? Parce que sous les sabots du ruminant vont apparaître tout un fatras d'étranges objets tout droit sortis de la lointaine préhistoire : Des pointes de flèches, des aiguilles taillées dans l'os, des pierres taillées, des poteries, des ossements, des fragments de verre, des galets gravés figurant des rennes - disparus de ces latitudes voilà plus de 10 000 ans - et agrémentés de signes mystérieux. Des "urnes à visage" aux formes extraordinaires, des idoles phalliques ou bisexuées façonnées dans la glaise. Et surtout des tablettes de céramique portant des inscriptions évoquant une écriture dans un alphabet  inconnu, souvent rapproché de l'alphabet phénicien. Attribués dans un premier temps à une époque préhistorique, leur ancienneté et leur authenticité vont être rapidement contestées.

Laissons les protagonistes nous conter leur version des faits…

Emile Fradin raconte comment, avec sa famille, il a déterré les premiers artefacts sans vraiment réaliser leur valeur : "Et mon père disait dans ses vases il y a une fortune. Il y avait des urnes entières que nous avons cassé et dans lesquelles il n'y avait rien, il y avait de la terre."

Emile Fradin en 1976

La trouvaille s'ébruite dans la région et Antonin Morlet, médecin à Vichy, archéologue à ses heures entreprend les premières fouilles officielles, à son compte, dès 1925. Le chantier de fouille est rebaptisé le "Champ des morts" car on y retrouve des ossements humains. Les excavations durent jusqu'au milieu des années 1930 et exhument l'essentiel du matériel aujourd'hui exposé dans le petit musée tenu jusqu'en 2010 par la famille Fradin elle-même. 3 000 objets sont toujours visibles pour le visiteur qui souhaiterait se faire sa propre opinion.

"C'est grâce à lui que Glozel existe... car sans Morlet, on ne faisait pas de fouilles…" (Emile Fradin)

L'épouse du docteur Morlet, raconte ici comment, avec son mari accompagné de Benoît Clément, instituteur-archéologue, ils se chargèrent des fouilles : "C'était les meilleures heures de notre vie… Vous ne pouvez pas imaginer la sensation qu'on a quand on découvre quelque chose… C'est tout à fait merveilleux."

Les découvertes de Glozel, publiées par le docteur Morlet, font polémique, notamment celles concernant le mystérieux alphabet. Emile Fradin raconte… "Beaucoup de savants ont voulu s'immiscer là-dedans et il ne s'est pas laissé faire…"

"Pour les archéologues, cet écart d'au moins 6000 ans est impensable !"

Henri Delporte, ancien directeur des Antiquités Préhistoriques d'Auvergne décrit les incohérences qui firent douter de l'authenticité des artefacts : "Le docteur Morlet affirma avoir trouvé à Glozel des vestiges d'un habitat néolithique ancien... datés à 6000, 7000, 8000 avant J.C. Jusque-là, ça n'a rien de scandaleux…"

Mais sur ce site, Morlet déclare avoir découvert deux types d'objets qui vont provoquer le scandale : des objets en verre. Or le premier objet en verre (une perle) trouvé en France date de 750 avant J.C. : "Pour les archéologues, cet écart d'au moins 6000 ans est impensable !"

Autre trouvaille contestée : les tablettes gravées de signes semblables à un alphabet alors que la tradition veut que l'alphabet le plus ancien connu soit celui des Phéniciens qui date du premier millénaire avant J.C.

Le docteur Antonin Morlet puis le chanoine Cotte reviennent sur cet aspect de la polémique concernant l'alphabet inconnu.

Les archéologues vont réfuter la véracité de cette écriture et bientôt celle des artefacts eux-mêmes… Une commission internationale est envoyée sur place pour enquêter. Elle conclura que le site de Glozel est faux. René Dussaud, membre de l'Institut et conservateur au musée du Louvre, parlant même de supercherie.

Fouilles de la commission internationale

De procédures en procédures...

Emile Fradin relate son procès gagné contre René Dussaud pour diffamation, après plusieurs années de procédure.

La Société préhistorique de France va elle aussi contre-attaquer en 1928 et porter plainte contre Emile Fradin pour escroquerie. Témoignage d'André Besson, ancien président de la cour de cassation, sur la perquisition subie au domicile familial, et de l'épouse du docteur Antonin Morlet.

Au cours du procès, Salomon Reinach, conservateur du Musée des Antiquités Nationales de Saint-Germain-en-Laye, conclura à l'authenticité du site néolithique. L'affaire se complique lorsque Gaston-Edmond Bayle, chef du service de l'identité judiciaire de Paris, commis par le juge d'instruction de Moulins pour examiner les objets saisis lors de la perquisition au domicile des Fradin, est assassiné par un pro-glozélien. En parallèle, Emile Fradin, âgé alors de vingt-deux ans, va obtenir un non-lieu et être blanchi de l'accusation d'escroquerie.

Que dit l'analyse des tablettes ?

Emile Fradin présente une tablette gravée en 1976

Dans les années 1970, les "glozéliens" mettent tout leur espoir dans une nouvelle technique de datation - la thermoluminescence, qui permet de dater la cuisson des céramiques – elle doit trancher la controverse. Mais le carbone 14 ne date que le matériau et pas son éventuelle mise en forme. Les objets ont ainsi pu être fabriqués à partir d'ossements antérieurs datant de la Préhistoire. Quelques scientifiques commentent les résultats obtenus dans différents laboratoires à Gif-sur-Yvette ou au Danemark. Henri Delporte, ancien directeur des Antiquités Préhistoriques d'Auvergne évoque les conditions préalables à toutes nouvelles fouilles officielles sur le site de Glozel.

Si plus personne, ne défend la théorie d'une écriture apparue voilà 10 000 ans en Europe, la réalité du site, des fouilles et des découvertes, elle, ne semble plus être remise en cause.

Info ou Intox ? L'affaire n'est toujours pas tranchée

En 1983, après avoir refusé de rouvrir les fouilles, le Ministère de la Culture commet des scientifiques de renom pour trancher le débat : Jean Guilaine (Collège de France), Jean-Paul Demoule (université Paris-I-Sorbonne), Jean-Pierre Daugas (conservateur régional de l'archéologie de Rhônes-Alpes) se penchent sur l'énigme, alors vieille de soixante ans. Le rapport complet de cette expertise ne sera jamais publié. Seul un résumé de ces travaux sera édité en 1995 - douze ans plus tard ! - dans la Revue archéologique du Centre. Il passera inaperçu ou presque. Ce sujet de JT annonce que selon les conclusions de la direction de l'archéologie, le site de Glozel est surtout médiéval et que le gisement aurait pu être "gonflé pour le rendre plus intéressant."

Les glozéliens, n'en démordent pas, le site est authentique. En 1998, à 92 ans, Emile Fradin réfute toujours la thèse de la manipulation et clame sa bonne foi. Robert Liris, historien et membre des amis de Glozel revient sur les lieux avec le découvreur du site. Ils présentent le champ où ont été découverts de nombreux objets. En plateau, Francis Duranthon, paléontologue souligne l'intérêt du site.

Près de cent ans après sa découverte et des décennies de procédures, le "Champ des morts" soulève toujours autant de questions. Peut-être un jour prochain rouvrira-t-on les fouilles et qui sait ? De nouvelles techniques d'expertises parviendront enfin à lever le doute qui subsiste toujours sur le mystère des artefacts de Glozel.

Pour aller plus loin

2006, colloque à la maison de l'Auvergne à Paris intitulé "Glozel est authentique". 

L'oreille en coin : Le trésor de Glozel. Documentaire de Robert Arnaut sur le site archéologique de Glozel avec les témoignages des témoins. (Audio, Premium, 30 juin 1973)

Florence Dartois


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