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Des témoins racontent le massacre d'Ascq du 1er avril 1944

Des témoins racontent le massacre d'Ascq du 1er avril 1944

La commémoration des 75 ans du massacre d'Ascq se déroule ce week-end à Villeneuve d'Ascq. Le 1er avril 1944, à la suite de l'explosion de la voie ferrée, un bataillon de SS "Hitler jugend" massacrait 86 hommes du village en représailles. Des survivants racontent.


Par la rédaction de l'INA - Publié le 09.04.2019 - Mis à jour le 09.04.2019
Le massacre d'Ascq - 1969 - 12:12 - vidéo
 
La commémoration des 75 ans du massacre d'Ascq se déroule ce week-end à Villeneuve d'Ascq. Dans la nuit du 1er au 2 avril 1944, à la suite de l'explosion de la voie ferrée, un bataillon blindé de la 12ème Panzer SS "Hitler jugend" massacrait 86 hommes du village en représailles. En 1969, des témoins et survivants revenaient sur cette nuit tragique.

Le 1er avril 1944, jour du dimanche des Rameaux, un groupe de résistants d'Ascq pose une charge d'explosifs sur la voie ferrée. Quelques minutes plus tard, à 22h45, à la place du train de marchandises prévu, c'est un bataillon blindé de la 12ème Panzer SS "Hitler jugend", en partance pour la Normandie, qui entre en gare. La charge explose mais seuls trois wagons déraillent. Les SS investissent alors le village endormi et raflent les hommes présents. Ils vont massacrer 86 d'entre eux. En 1969, 25 ans après le drame, le responsable du Front national pour le Nord qui organisait les attentats et les témoins du drame reviennent sur les lieux dans l'ancienne gare d'Ascq et témoignent sur cette soirée tragique. Le reportage commence par la reconstitution du trajet du train jusqu'à la garde d'Ascq. "A 22h45, alors que le convoi arrive à la cabine d'aiguillage…"

"Ils en ont fusillé trois en face de nous."

Une riveraine qui habitait à trente mètres de la gare se souvient : "le train a stoppé là et immédiatement les Allemands sont entrés dans la maison. Ils nous ont fait descendre et de là, ils nous ont parqué avec tous les voisins et conduit à la cabine de l'aiguillage. De là, nous sommes partis le long du train jusqu'au terrain et là ils en ont fusillé trois en face de nous."

"Il m'a foutu un coup de crosse..."

Monsieur Van den Bussche, qui allait être exécuté le long d'un mur,  raconte comment il a été sauvé par une patrouille d'Allemands cantonnés dans le village depuis quatre ans. Ils se sont opposés aux nazis et faisaient partie de la patrouille 908 de la Wehrmacht : "Je les considérais comme des frères. Ils étaient là depuis quatre ans et n'avaient jamais rien dit à personne."

Ces soldats de la Wehrmacht s'interposent entre lui et les SS, alors qu'ils l'avaient passé à tabac et s'apprêtaient à le fusiller : "eux, ils étaient là, à quatre-cinq. Il y avait un grand, un gamin de 17-18 ans. Il m'a foutu un coup de crosse là (il montre sa bouche) et l'autre m'a foutu un coup de bottes dans les parties. J'étais à ce moment-là tourné face au mur, comme ça, pour être fusillé. Il mime l'action, il est tourné les bras levés contre le mur, dos à la caméra : J'ai entendu le portillon qui s'est ouvert et ceux de la Wehrmacht sont venus se mettre en face de moi. J'ai entendu qu'ils ont dit aux SS "Ein moment !" Les deux soldats lui ont alors demandé pourquoi il était dehors et lui ont demandé ses papiers. Comme il était en pyjama et chaussons, il a expliqué qu'ils étaient dans sa maison toute proche. Les deux Allemands l'ont raccompagné chez lui : "il n'y avait plus de porte, il n'y avait plus de fenêtres, plus rien. Alors à ce moment-là, ils ont dit à ma femme tout bas, "monsieur de retour". Ensuite, ils l'ont emmené à l'abri dans leur QG.

"Coup de pied, coup de crosse et coup de grâce !"

Vient ensuite le témoignage d'un autre miraculé du massacre. Il était dans le second peloton d’exécution. Les SS lui avaient demandé de mettre les mains sur la tête. Il pensait alors qu'il allait simplement travailler et remettre la machine sur les rails :"C'est l'impression qu'ils nous ont donné... mais dès que nous avons entendu les cris qui nous arrivaient de l'extrémité du train. Une fois arrivés à l'extrémité des wagons, devant les SS, notre seule issue c'était de foncer, ici à droite, dans les talus. C'est ce que nous avons fait pour nous sauver. Nous n'avions pas fait 20 mètres que les rafales ont commencé. Mon frère est tombé. Je suis tombé sur lui et je suis resté sur le dos. On n'avait que des cadavres qui tombaient l'un après l'autre. J'étais toujours conscient. Je regardais l'événement.

Il n'avait pas de blessure et entendait les blessés appeler au secours. Lorsque les SS se sont approchés, il n'a pas bougé simulant la mort : "et à chaque cadavre : "coup de pied, coup de crosse et coup de grâce ! Mon frère était près de moi, il a reçu le coup de crosse sur la tête, le coup de grâce et j'attendais mon tour. J'ai une un peu de chance. Le coup de crosse m'a fait détourner la tête et là j'ai eu le coup de grâce qui m'a laissé sans connaissance."

Cet homme va être une deuxième fois miraculé… Quand le calme est revenu, il s'est traîné jusqu'à la maison d'un ami, celle de monsieur Roseau. Sur place, il découvre une dizaine de cadavres devant la porte. Dans la cuisine il entend des voix allemandes. Il part se réfugier dans la haie du cimetière. De là, il observe les SS tirer sur les fuyards et blessés qui approchent de la maison.

"Ils venaient recharger leurs revolvers et entre deux, il s'amusaient  et ils buvaient un verre de bière…"

Que s'est-i-il passé dans cette maison ? Monsieur Roseau témoigne à son tour sur sa propre expérience ce soir-là. Il s'est réfugié dans sa chambre avec sa femme et ses enfants, lorsqu'à minuit 15, il entend frapper chez lui… "J'ouvre la porte et je me trouve en face de deux Allemands, revolver au poing. Ils me demandent de monter avec eux au grenier. Avec leur torche ils ont regardé dans tous les coins pour voir s'il n'y avait personne de caché…"

Les deux SS fouillent toute la maison jusqu'à la cave sans rien trouver. Ils s'installent dans la cuisine et posent leurs ceinturons sur la table pour recharger les revolvers et pour repartir dans l'entrée : "comme, je n'étais pas rassuré sur leurs intentions, je n'ai fait aucun geste et je me suis assis à la table et j'ai attendu. Les coups de fusils, de mitraillettes se passaient dehors, devant chez moi…"

L'un des Allemands demande à sa femme et à ses deux filles de se placer sous la table pour échapper aux balles perdues. A un moment, ils aperçoivent son poste de radio. Ils l'allument et entendent un concert de jazz et… "Ils se sont attrapés par les épaules, ils ont fait un pas de danse. Entre deux fusillades, ils venaient recharger leurs revolvers et entre deux, il s'amusaient et ils buvaient un verre de bière…"

"On est venu les achever d'un coup de revolver."

Monsieur Lelong, un autre résistant rescapé, qui appartenait au deuxième peloton, se remémore le moment où les SS ont braqué leurs armes sur lui et ses camarades et ont reçu l'ordre de tirer : "J'ai fait une enjambée sur le terre-plein sur le côté et je me suis allongé la tête appuyée sur mes deux avant-bras et je n'ai plus bougé de là jusqu'à la fin du massacre. J'ai vu le troisième peloton arriver et être fusillé, dont un est tombé sur mon dos. Ensuite ils ont fini les blessés sur le terrain. On est venu les achever d'un coup de revolver. Je m'attendais à avoir la même chose. Je me tenais pour ne pas bouger au cas où j'aurais été blessé. L'Allemand m'a donné deux coups de pieds sur l'épaule et je n'ai pas bougé, pas plus que s'il avait tapé sur un mur. Il m'a cru mort et il m'a laissé sur le terrain. Il est venu après le quatrième peloton qui lui n'a pas été fusillé. L'allemand a crié : retournez vite à votre maison. Moi j'étais prêt à me lever mais j'ai eu peur qu'il nous tire à la mitraillette et je n'ai pas bougé."

Une dame raconte ensuite ce qui s'est passé au petit matin. Elle a dû offrir du café aux SS. Elle a aussi assisté à la scène du vol du bridge en or sur le corps d'une voisin, monsieur Sabin.

"Jeunes, vieux, tout y passait…"

Un dernier témoin, qui était dans le quatrième peloton d'une trentaine d'hommes, évoque sa nuit. "Il y avait un infirme près de moi. Il m'a forcé à le prendre sur le dos pour le conduire au peloton d'exécution… il n'y avait pas de ménagement. Jeunes, vieux, tout y passait… puis il est venu un ordre qui nous a dit de ficher le camp et de rentrer à la maison…"

Florence Dartois


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