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2008, Jean Castex, "ambitieux mais pas pressé..."

2008, Jean Castex, "ambitieux mais pas pressé..."

Jean Castex devient le nouveau Premier ministre, en remplacement d'Edouard Philippe. Dans cette longue interview de 2008, l'homme politique, ancien énarque, dévoilait sa vision de la politique et du service public.


Par la rédaction de l'INA - Publié le 03.07.2020 - Mis à jour le 03.07.2020
 

Le 13 décembre 2008, Jean Castex répond au feu des questions de deux journalistes du magazine politique La voix est libre, de France 3 Montpellier. A l'époque, il a 43 ans et est maire de Prades dans les Pyrénées-Orientales depuis mars, fraîchement élu président de la communauté de communes du Conflent, il vient de quitter son poste de conseiller auprès du ministre du Travail des Relations Sociales et de la Solidarité, Xavier Bertrand.

Énarque de la promotion 1991, "Victor Hugo", il a commencé comme auditeur à la Cour des Comptes. A l'époque, Xavier Bertrand prenait le secrétariat général de l'UMP et les journalistes lui demandaient comment cela se traduirait pour lui ? Il s'attendait à un remaniement et annonçait qu'il ne le suivrait pas à l'UMP. En conséquence, son avenir était tracé : réintégration à la Cour des Comptes et exercice de ses mandats locaux en vue.

"Je pense qu'il faut conserver une certaine cohérence, une certaine continuité"

Le journaliste lui demande si c'est parce qu'il est trop jeune militant dans le parti ou pas un homme d'appareil ?  Jean Castex rappelle la nécessité d'une cohérence dans les engagements politique.

"Professionnellement, je suis fonctionnaire, élu d'abord, élu local, maire, désormais depuis peu… président d'une communauté de commune. Je pense qu'il faut conserver une certaine cohérence, une certaine continuité".

Il évoque ses deux expériences de directeur de cabinet, à la Santé (Xavier Bertrand) et au ministère du travail. "Ce sont des fonctions très lourdes qui sont totalement inconciliables avec des fonctions d'élu local. Je suis un homme de dossiers et je crois pouvoir dire aussi que je suis un homme de terrain... Il poursuit, "j'ai fait le choix de m'engager à Prades, personne ne m'a poussé vers la sortie. J'ai été élu. J'ai fait ce que j'ai dit que je ferai. J'ai démissionné de mon poste de directeur de cabinet, tout en restant conseiller auprès du ministre, pour pouvoir exercer, je l'espère du mieux possible, mes nouvelles attributions".

Le journaliste lui demande ce que cela fait "de passer de l'ombre à la lumière", sa réponse, "j'y trouve une certaine continuité. C'est le sens du service public, le service de nos concitoyens, simplement d'une autre façon".

"Etre énarque, je n'en ai pas honte (...) mais en même temps..."

Répondant au journaliste qui le titille sur le fait d'avoir une carrière tracée lorsque l'on est énarque, Jean Castex assume "pour moi, être énarque, je n'en ai pas honte. Ce n'est pas un défaut. C'est moins à la mode, semble-t-il que ça le fut, mais moi je suis fier que l'école de la République m'ait permis de passer et de réussir des concours qui m'ont permis d'exercer des responsabilités que je n'aurais pas pu faire sinon". Il tempère son propos, "en même temps, je pense que c'est bien que depuis quelques années, il n'y ait pas que des gens issus du même sérail, formatés, qui exercent ces fonctions. La vie est faite d'équilibres, il y a eu une montée en charge, peut-être est-on allé un peu loin, maintenant les choses se rééquilibrent. Je trouve que passer par des responsabilités de terrain, opérationnelles. Vous me disiez passer de l'ombre à la lumière, c'est un enrichissement que je trouve absolument indispensable".

"Il n'est pas honteux d'avoir de l'ambition..."

Le journaliste lui demande s'il souhaiterait avoir un avenir dans l'UMP régionale qui se cherche un leader.

"A ce jour, je suis maire de Prades. Je viens d'être élu président de la communauté de communes du Conflent. Il illustre ensuite sa vision d'une carrière politique à l'aide d'une métaphore, "si vous voulez, monter un escalier, il n'est pas honteux d'avoir de l'ambition, moi j'en ai beaucoup pour ma ville, mon territoire, peut-être pour moi-même, ce n'est pas interdit, c'est un moteur comme un autre. Faut pas jouer les hypocrites. Mais il faut le faire étape par étape".

Il poursuit "moi, j'ai senti le bon moment pour me présenter à Prades au suffrage de mes concitoyens, après avoir jugé que j'avais fait mes preuves au plan professionnel dans les métiers qui étaient les miens. Si j'estime que j'agis convenablement, que j'arrive à atteindre les objectifs que j'ai présenté à la population à Prades, dans le Conflent et dans les Pyrénées-Orientales, alors je ne vois pas pourquoi, effectivement, je ne pourrais pas apporter ma contribution à d'autres niveaux".

"Pour résumer ambitieux mais pas pressé ? C'est ça ?" lui demande le journaliste. Il confirme, "c'est ça. Je n'ai jamais été… je suis impatient mais je ne suis pas pressé" concède-t-il avec un sourire entendu.

Unificateur de la communauté de commune du Conflent

Ils évoquent ensuite sa candidature unique et son élection à la quasi majorité à la communauté de communes du Conflent. Une "région magnifique au pied du Canigou, avec toutes ces vallées qui convergent. Il fallait absolument et impérativement organiser ce territoire. Il y avait déjà eu une tentative d'intercommunalité qui, malheureusement, avait échoué. Si bien qu'aujourd'hui, en 2008, alors que la plupart en France, mais restons dans notre région, des territoires et des départements sont organisés en communautés de communes, ce n'était pas le cas chez nous". 

"Et d'après vous, qu'est ce qui fait que ça a réussi alors que ça avait échoué jusque-là?"

"D'abord, il faudrait peut-être que vous posiez la question à mes collègues, mais je pense que le moment était venu. Peut-être que la méthode employée a été pertinente. En tout cas, ce que je constate, c'est que nous avons su laisser nos différences d'opinions politiques, nos différences d'appréciation sont légitimes, pour privilégier l'intérêt général du Conflent. L'intérêt des habitants et ça, je pense que c'est très bien et j'espère que ça va continuer de continuer".

Jean Castex décrit ensuite les défis de la ruralité et les caractéristiques, parfois les atouts d'une région entre montagne et vallées souffrant de la désertification.

"Et en même temps, un peu comme toute notre région, des atouts touristiques, culturels, de patrimoine qui sont considérables. On ne va pas faire là-bas une stratégie de développement économique, pensant attirer IBM ou des grandes entreprises. Il faut valoriser nos points forts. On sait qu'on peut attirer beaucoup de touristes. Encore faut-il qu'il y ait des parcours touristiques, des structures d'hébergement et une véritable stratégie cohérente. Ça, les trente communes que vous citiez ne peuvent pas le faire chacune isolément. Ce n'est pas possible. Il faut que nous nous regroupions. Donc, on va à partir d'un diagnostic de territoire essayer de trouver des outils, des leviers pour mieux le mettre en valeur. Il y a aussi des services de proximité. Il nous faut faire une crèche intercommunale. Il nous faut faire une piscine, enfin des choses qui rendent service à la populations.

Le journaliste l'interroge sur ses manœuvres d'action, son indépendance et son autonomie dans les choix à venir. 

"Je forme le vœu, je le répète, que l'on raisonne en termes de qualité des projets. Et non pas d'identité politique de leur porteur, c'est à dire que je j'imagine ou en tout cas je n'imagine pas, je vais le dire différemment, que si la communauté de communes du Conflent est porteuse de projets intéressants, qui donc, indirectement, vont aussi valoriser l'ensemble du territoire régional que le conseil régional et son président [Georges Frêche à l'époque], puisque vous avez voulu le citer, nous accorde pas une oreille attentive? Nous verrons bien".

"Je pense que les services publics doivent à la fois évoluer, se réorganiser pour mieux rester dans la ruralité."

Le journaliste l'interroge ensuite sur la raréfaction des services publics dans le monde rural, une volonté de son bord politique. "En tant que militant, militant UMP, n'êtes-vous pas un peu gêné parfois par cette sorte de détricotage des services publics dans la ruralité. Ou est-ce une posture de syndicaliste de dire que les services publics s'en vont des espaces ruraux?"

"D'abord, je ne suis pas du tout gêné parce que je pense que les services publics doivent à la fois évoluer, se réorganiser pour mieux rester dans la ruralité, pour mieux rester sur le territoire. Je vais vous parler d'hôpital si vous voulez, mais par exemple, la Communauté de communes du Conflent. Parmi ses compétences, elle a justement l'aide au maintien des services publics et des services à la personne en milieu rural. Le service public ça peut être veiller à ce qu'il y ait quand même par canton des médecins généralistes". Le journaliste précise, "Mais c'est vous qui payez, non pas l'Etat, ce que parfois les élus reprochent".

Il poursuite, "je pense que chacun doit avoir ses compétences. L'Etat, dès lors que l'Etat nous aide à faire ça, je pense qu'il vaudrait mieux, à la limite, que ce soit nous qui le gérions directement. C'est embêtant si l'Etat ne nous aide plus, mais je suis par exemple très vigilant, à ce que c'est un sujet d'actualité, la réorganisation d'EDF sur le département des Pyrénées-Orientales et dans notre territoire en particulier, qu'EDF se réorganise, je n'ai pas d'obstacle de principe, au contraire, je pense qu'il faut que le service public évolue, que service public s'adapte, mais il faut quand même que nous veillons à ce que, par exemple, les astreintes opérationnelles, les délais d'intervention s'il y a des pannes ne se dégradent pas. Je préfère qu'on raisonne en termes de résultats, les moyens après les entreprises et services publics en sont les gestionnaires".

"La médecine de proximité, ça consiste à laisser au plus près des citoyens des services sanitaires de qualité."

Le journaliste lui demande si le fait d'être proche de la majorité gouvernementale ne l'a pas aidé justement à obtenir des enveloppes nécessaires et importantes pour la clinique et l'hôpital de sa région.

"Chacun se bat pour son territoire. Je crois qu'on pourra difficilement quand même me reprocher de faire tout ce que je peux, d'utiliser les réseaux qui sont les miens, pour essayer de développer le territoire sur lequel les électeurs ont bien voulu me désigner pour les représenter. La clinique et l'hôpital, puisque vous en parlez, il y en a, à Prades, sont des outils essentiels (...) Donc, c'est vraiment des facteurs d'attractivité et de maintien de la vie dans nos territoires. Pas qu'à Prades qui sont absolument décisif. Donc, effectivement, dès mon élection, il y avait des projets d'ailleurs en cours, certains tout à fait bien lancés par mon prédécesseur. Mais ce que j'ai voulu, c'est passer à la vitesse supérieure, effectivement, c'est ce qu'on a fait grâce à l'aide de la ministre de la Santé. Donc là, je pense qu'on est assez. Maintenant, on est, on est assez tranquille, si j'ose dire, pendant plusieurs années. Il faut que les investissements se réalisent, mais enfin, on va refaire quasiment tout l'hôpital à venir".

Ils abordent ensuite le sujet des soins de proximité et le maintien des "petits hôpitaux de proximité, avec des plateaux bien précis, correspondant aujourd'hui à une médecine générale. Et qu'on ne soit pas obligé d'aller à X kilomètres pour aller se faire soigner"

"La médecine de proximité, vous y faisiez allusion toute à l'heure, j'ai été directeur des hôpitaux au ministère de Santé pendant quelques années. La médecine de proximité, ça consiste à laisser au plus près des citoyens des services sanitaires de qualité. Rien ne serait pire, au nom de l'aménagement du territoire, que de laisser en certains endroits des services qui n'offrent pas la qualité des soins et la sécurité aux patients. Le nombre d'actes suffisant pour pouvoir être compétent? Absolument, absolument. À Prades, il y a quelques années, la maternité a été fermée. Là, nous avons un service de chirurgie puisque vous faites allusion à Saint-Affrique. C'est la question d'un service de chirurgie qui était en cause. Un service de qualité qui pratique un nombre d'actes suffisants qui, j'insiste beaucoup, est en réseau avec le centre hospitalier de Perpignan et les cliniques privées, puisque la clinique de Prades vient d'être rachetée par un groupe localisé à Perpignan. Et donc, il est très important que les médecins travaillent entre eux, qui a un savoir-faire permanent qui soit maintenu".

Des ambitions de politique en région ou plus ? "Une chose après l'autre, je ne suis pas pressé..."

"Revenons à la politique. Vous parliez des ambitions légitimes des prochaines échéances, c'est de prendre la direction de l'UMP dans les Pyrénées Orientales dont le poste n'est pas vacant ?"

"Ah non, le poste n'est pas vacant... je ne suis pas candidat. Je suis évidemment de près tout ce qui se passe. Je n'ai pas de difficulté, mais je n'ai aucune raison d'être candidat. Il pourrait y avoir un poste de sénateur vacant. Peut-être, non ?" le titille le journaliste en lui demandant s'il se représentera en 2010.

Il élude, "C'est pas quand même tout à fait d'actualité, tout ça. Vous l'avez dit vous-même, une chose après l'autre, je ne suis pas pressé. On verra bien quelle sera la situation politique et quelle sera ma propre situation à ce moment-là. Vous savez, d'ici 2010, il peut se passer beaucoup de choses".  

Le second journaliste insiste, "Vous êtes venus pour réussir à Prades mais un petit peu au-delà, même quand ? On n'est pas dans un poste de prestige sans…"

"Vous savez, un poste de prestige. Il est vrai que j'étais directeur de cabinet. Vous savez, ce sont des postes toujours éphémères. Et puis, il faut changer, il faut se renouveler. Ça fait beaucoup de bien, vous savez, quand vous avez des postes de responsabilité de cette nature de revenir pour s'occuper des préoccupations quotidiennes des gens, du trottoir..."

La "castagne" en politique

"Exactement. Vous savez, il n'y a pas meilleure formation d'humilité".

"Une question sur les mœurs politiques dans cette région? Est-ce que ça vous surprend comment ça fonctionne? Parce que ici, on aime la castagne. Xavier Bertrand, votre patron, ras-le-bol de Frêche ? Lors de sa dernière visite, c'est une déclaration qu'il avait faite lors d'un meeting récemment dans la région. Est-ce que les mœurs politiques sont différentes?

"Tout d'abord, pour être surpris, il aurait fallu ne pas connaître. Je me permets de vous rappeler qu'il y a très longtemps que je viens dans cette région, que je m'y suis marié. J'y ai baptisé mes enfants. Je ne suis quand même pas ni naïf ni complètement néophyte. Bon, c'est vrai que ça castagne un peu. Bon la castagne, je dis, il en faut. Les mœurs politiques françaises, il y a un petit goût quand même, ça ne vous déplaît pas vous ? Bon. Ce que je regrette, ce n'est pas tellement la castagne, quand on est des caractères bien trempés, ma foi, ça peut être aussi parfois un atout. Ce qui m'inquiète, ce qui me préoccupe davantage, c'est un peu ce que vous êtes à l'heure, c'est qu'on ne soit pas capable autour d'un certain nombre de projets. Ce que je rappelle quand même, les collectivités locales, même si elles ont des responsabilités de plus en plus étendues, ne font pas la politique nationale. Donc, au niveau local, il faudrait que nous soyons capables, autour d'un certain nombre de projets fédérateurs et structurants, de nous réunir".

Le journaliste l'interrompt pour préciser, "on le voit aujourd'hui, Frêche a réussi des pactes régionaux avec quasiment toutes les villes de droite de la région, que ce soit à l'est Nîmes, Béziers, oui, Sète et à Perpignan, ça coince un peu".

Il confirme, "oui, monsieur Frêche a expliqué que c'était en raison de considérations locales. En réalité, moi, ce que je constate surtout, c'est que dans cette région, c'est vrai aussi un peu dans d'autres, mais peut-être moins. On regarde qui vous êtes ? Quelle est votre étiquette politique? Avant de regarder la qualité du projet dont vous êtes porteur, et on vous répond … non, votre projet n'est pas bon, mais en réalité, ce n'est pas qu'il soit mauvais, c'est que vous n'êtes pas dans la ligne ou dans le courant politique à la majorité, soit au département, soit à la région… Si je parle d'intelligence, ce sont là des jugements de valeur. Moi, ce que vous me demandez, c'est une appréciation politique. C'est une région, le département dans lequel je suis élu, qui sont en grande difficulté, qui ont des indices de pauvreté qui sont élevés, au dessus de la moyenne nationale et qui supposerait donc une méthode. Une approche pour amener de la richesse, peut-être plus unitaire, pour amener à s'inscrire à l'opposition. Faire un bon mot pour faire plaisir d'un bon mot, ça n'a jamais été ou ça n'a jamais servi de politique cohérente. Il y aura une rente de 30 secondes". Pour conclure l'interview, il estimait que la région serait gagnable par l'UMP et ses alliés lors de la prochaine échéance. "Ça m'intéresse, je ne vous déclare pas que je suis candidat parce que le moment n'est pas venu, mais effectivement, ça m'intéresse. Et surtout, n'oubliez pas une chose, personne ne sait encore aujourd'hui ce que seront ces élections régionales..."

Le 2 avril dernier, Edouard Philippe avait nommé Jean Castex à la gestion du déconfinement. Depuis septembre 2017, il était délégué interministériel chargé de préparer les J.O. de 2024.


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