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1994 : Madame Claude décrit les coulisses de sa profession

1994 : Madame Claude décrit les coulisses de sa profession

Destiné aux salles obscures, le film "Madame Claude", consacré à la vie de la plus célèbre proxénète de France, débarque vendredi 2 avril sur Netflix. En 1994 sur Antenne 2, elle se racontait.


Par la rédaction de l'INA - Publié le 01.04.2021 - Mis à jour le 01.04.2021
 
Destiné aux salles obscures, le film "Madame Claude", consacré à la vie de la plus célèbre proxénète de France, débarque finalement ce vendredi 2 avril sur Netflix. Découvrez ici à quoi elle ressemblait vraiment.

Pandémie oblige et faute de cinémas ouverts, le biopic de la réalisatrice Sylvie Verheyde, savant cocktail de polar politique et de thriller érotique, débarque sur Netflix. La vie romancée de Madame Claude avait déjà été racontée en 1977 dans un film de Just Jaeckin avec Françoise Fabian dans le rôle-titre. Dans cette nouvelle version, Sylvie Verheyde a souhaité évoquer des faits marquants de la vie de la proxénète, en dénonçant notamment son emprise sur ses "filles", et en évoquant sa proximité avec le pouvoir politique.

Pendant des années, elle a oeuvré dans l'ambiance des bordels chics des années 1960-70. Elle, c'est Fernande Grudet, une septuagénaire à l'allure sage et bourgeoise. Le 21 juin 1994, Lionel Cassan la reçoit sur le plateau de "Matin bonheur" à l'occasion de la sortie de son livre souvenir, intitulé "Madam". Car cette femme, bon chic bon genre, à la coupe courte et grisonnante, est plus connue sous le nom de Madame Claude. Pendant des années, elle fut la plus célèbre des proxénètes professionnelles. Dans cette interview exclusive, elle revient, sur un ton badin, sur quelques moments-clés de sa vie hors du commun. 

Lionel Cassan lui demande d'abord de raconter comment se passait le recrutement des jeunes femmes. Ce qu'elle fait en toute simplicité, comme le ferait une DRH de grande entreprise : "Oh bien, vous savez, elles venaient toujours sur la recommandation, soit d'une amie ou d'un ami. Très souvent elles avaient rencontré dans un dîner un monsieur qui leur disait : vous valait mieux que ce que vous faites. Voilà un numéro". Un recrutement de haut vol qu'elle décrit : "Il y avait celles qui ne me plaisaient pas. Ça allait très vite. Je disais : non, je m'excuse. J'en prenais peu, vous savez. Une à peu près sur vingt !"

L'animateur s'étonne de ce procédé : "Ces jeunes filles, 20 ans à peu près, venaient d'elles-mêmes ? Vous n'avez jamais forcé personne à travailler ?"

"Oh non, je vous dis, une sur vingt je gardais. Il y avait beaucoup d'appelées mais peu d'élues, donc je n'avais vraiment pas besoin de les chercher moi-même".

"J'essayais d'enlever tout ce qu'il y avait d'équivoque, de laid"

L'ex "mère maquerelle" explique ensuite comment est née sa petite entreprise, un peu par hasard : "Je suis arrivée là parce que j'avais une amie qui avait une toute petite organisation et que j'allais voir de temps à autre. Elle était très amusante, elle était très drôle. Je trouvais que c'était une ambiance sympathique. Et un jour, elle est partie pour se marier. Elle m'a dit : pourquoi tu ne voudrais pas reprendre ? Ça m'a un peu étonnée, et puis j'ai réfléchi, et j'ai dit oui, mais je ferai quelque chose de beaucoup mieux que toi ! Et j'ai fait très vite quelque chose de bien. Et puis, je vous dis, le bouche à oreille. En faisant bien, on y arrive. Il y avait la place pour quelqu'un, pour quelque chose de qualité". Une qualité qui correspondait à ses yeux à de la prostitution de qualité, de luxe : "J'essayais d'enlever tout ce qu'il y avait d'équivoque, de laid là-dedans. Voilà !"

Lionel Cassan tempère son propos, "Mais en apparence seulement. Parce qu'en fait, dans le fond, le problème reste le même. Il s'agit toujours de prostitution". 

Madame Claude, visiblement agacée, le coupe : "Non ! Pas du tout ! Si vous vous adressez à une certaine clientèle… Non, il y avait des hauts et des bas dans ce métier. Mais on enlève les bas", elle plaisante, "les bas à tout point de vue". Une pointe d'humour relevée par le présentateur qui recentre une fois de plus l'entretien sur le fond de la question, la prostitution : "Vous avez de l'humour, je vois. Mais vous voulez dire que c'est quand même mieux d'offrir une fille à un homme très riche ? A un député, un premier ministre, un président, un roi, plutôt que…

Madame Claude l'interrompt à nouveau pour défendre son point de vue : "Oui ! Ils les considèrent d'une autre manière. Ils sont habitués à être aimables, polis avec les femmes et ils continuent. C'est tout". Argument qui ne semble pas convaincre Lionel Cassan. Il revient à la charge : "Sauf que par rapport au commun des mortels, certains ont quand même plus de drôles d'idées, de drôles de fantasmes, non ?"

"Non", répond l'intéressée, avant de tempérer : "Il y a beaucoup moins de fantasmes extraordinaires qu'on ne croit vous savez. Il y a les fantasmes amusants, je ne sais pas moi. Il y a le monsieur qui monte sur la cheminée en disant : Je suis le coq du village"! Mais le présentateur revient sur le caractère outrageant de la prostitution : "Est-il arrivé qu'une fille revienne de son premier voyage en larmes, effondrée, en disant : c'est une horreur ! Plus jamais ça ?"

Madame Claude ne peut qu'acquiescer : "Ça peut arriver". Lionel Cassan enchaîne : "Et dans ces cas-là. Comment est-ce que vous avez réagi ?" Mais une fois de plus la proxénète de luxe s'en sort par une pirouette : "Oh, je les laissais partir."

L'animateur cherche à débusquer une éventuelle pointe de mauvaise conscience chez son invitée : "En ayant l'impression que vous aviez cassé quelque chose chez elle ou pas ?" Mais ce sera peine perdue : "Non, parce que si elles arrivaient chez moi, elles étaient déjà dans le circuit. C'est pourquoi je n'allais pas du tout chercher quelqu'un qui n'était pas... Jamais !"

Une duchesse prostituée par son mari

Lionel Cassan l'interrompt pour l'interroger sur un exemple précis : "Sauf la duchesse ! " Une fois de plus, Madame Claude parvient à esquiver : "Oh, la duchesse ! C'est son mari qui l'a amenée. Je m'excuse…"

Lionel Cassan insiste pour avoir des précisions sur cette anecdote qu'il résume en quelques mots : "C'est un châtelain, un monsieur très riche. Un très grand nom de France, mais il a des problèmes d'argent ce brave châtelain, et il a une très jolie femme. Une duchesse d'une trentaine d'années". Un âge d'ailleurs trop avancé au goût de l'entremetteuse : "Je ne prenais pas des femmes de cet âge parce qu'à cet âge-là, on a déjà des habitudes, des manies. C'est moins souple. Quand je l'ai vu, j'ai dit : 'Vous êtes très belle, mais c'est non'. Et puis, j'ai réfléchi très vite et je me suis dit : peut-être qu'y a quelque chose à faire? Et j'ai posé la question : 'est-ce que vous voulez bien que je dise votre nom ?' Et là, je me suis dit : 'ils vont se mettre à hurler tous les deux !' Lui a répondu : 'Non, non, pas du tout'. Je lui ai demandé : 'mais vous n'avez pas peur de vos relations ?' 'Non, non, pas du tout'. Et donc, à partir de ce moment-là, elle a fait un malheur parce qu'elle était à la fois belle et puis ce nom !"

Pour conclure l'échange, Lionel Cassan lui demande de justifier son activité. Mais toujours pas de mea culpa pour madame Claude : "Je ne me justifie pas, en aucune façon. J'assume totalement. Il y a un mot pour caractériser ce que je faisais. On me disait : proxénétisme. Mais pour moi, le proxénétisme, c'est la personne qui prend l'argent. Je donnais un service et un service extrêmement difficile à ces jeunes femmes. Je leur expliquais ce qu'il fallait faire dans la vie et ce qu'il ne fallait pas faire. Ce qu'on m'avait expliqué chez les visitandines. Je prenais soin d'elles. J'étais très, très près d'elles quand elle avait un ennui, un souci. Elles pouvaient téléphoner à toute heure du jour et la nuit. Et puis elles avaient des vies tout de même très agréables, vous savez. Pour arriver à ce qu'elles soient vraiment réussies, à ce qu'elles soient bien, il fallait deux années. C'était long".

Pour aller plus loin :

Samedi et demi : interview de François Fabian à l'occasion de la sortie du film "Madame Claude". Elle évoque l'intérêt de son rôle. (14 mai 1977) 

JT Toulouse : arrestation de Madame Claude dans le Lot à Cajarc. Un reportage consacré à l'arrestation de Madame Claude dans un village, près de Gaillac. Célèbre proxénète, elle est accusée de fraude fiscale et pour proxénétisme. Réfugiée aux Etats-Unis, son retour en France lui a été fatal.(3 janvier 1986)

Histoires vraies. Débat. Madame Claude : sa méthode de travail. Gilles Schneider et Béatrice Schönberg reçoivent Madame Claude. Elle s'explique sur ses méthodes de travail, son organisation et sur son investissement dans l'éducation des jeunes filles qu'elle faisait travailler. (7 novembre 1990)

12 13 Edition nationale. Décès de madame Claude. Un surnom sulfureux pour une profession qui ne l'était pas moins : Madame Claude est décédée à 92 ans. Fernande Grudet de son vrai nom, était à la tête d'un célèbre réseau de prostitution dans les années 60 et 70. La légende veut qu'elle garantissait toujours un secret absolu à ses clients parfois célèbres. (22 décembre 2015)

1973, Marthe Richard à propos des maisons closes. Le 13 décembre 1945, Marthe Richard dépose devant le Conseil municipal de Paris un projet de loi visant à fermer les maisons closes. En 1946, la loi de fermeture des maisons closes portant son nom est promulguée. Mais en 1973, Marthe Richard trouvait sa loi dépassée et militait pour leur réouverture. (Article)

Retour vers l'info : travailleuses du sexe, le long combat pour la reconnaissance de leur métier. Avec le confinement, ils se retrouvent dans une précarité extrême. Ils, ce sont les travailleurs du sexe. Parmi ces travailleurs, une grande majorité de femmes. En plus de l’absence de clients et de revenus, elles n’ont droit à aucune aide de l’Etat. Un manque de reconnaissance qu’elles dénoncent depuis des décennies. (module franceinfo-ina, 22 avril 2020)

Florence Dartois


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