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1985 : Robert Badinter pour la captation filmée des procès «historiques»

1985 : Robert Badinter pour la captation filmée des procès «historiques»

Depuis 2021, certains procès de droit commun peuvent être captés. Jusque-là, l'enregistrement de l'audience était réservée aux procès dits «historiques», une mesure exceptionnelle qu'avait permise Robert Badinter, garde des Sceaux, en 1985. 

Par Florence Dartois - Publié le 02.09.2020 - Mis à jour le 01.04.2022
 

LE CONTEXTE.

Faut-il ou non filmer les procès ? Ce débat a ressurgi en 2021 lorsqu'une loi portée par le ministre des Sceaux Éric Dupond-Moretti a introduit la possibilité de filmer des procès pour « un motif d’intérêt public, d’ordre pédagogique, informatif, culturel et scientifique ». Ce texte de loi étend aux procès de droit commun (justice civile, pénale, économique ou administrative) une captation jusqu'à présent réservée aux procès exceptionnels et historiques (Papon, AZF, 13-Novembre…). La captation filmée des procès exceptionnels et historiques, on la doit au Garde des Sceaux Robert Badinter, avec la loi du 11 juillet 1985.

L'ARCHIVE.

Quelques mois avant cette décision, le ministre de François Mitterrand est l'invité de « L'Heure de vérité ». Ce 1er avril 1985, il expose à Henri de Virieu sa position sur la captation et la retransmission des procès à la télévision. Robert Badinter déclare d'emblée être contre la retransmission en direct et en intégralité des procès à la télé, mais pas contre celle, a posteriori, des procès historiques. Il s'en explique ainsi : « Je me suis beaucoup interrogé, et c'est vrai que ma pensée a évolué en ce qui concerne le problème très important et très difficile de l'enregistrement et de la retransmission au journal parlé le soir des débats judiciaires », souligne-t-il avant de poursuivre, « Je me disais : "mais voyons, l'audience est ouverte. Les journalistes entrent librement, c'est une garantie des libertés. Il faut que la presse soit présente dans les grands procès. Pourquoi les caméras n'y seraient-elles pas" ? »

Les phases de sa réflexion

Le ministre de la Justice décrit ensuite, comment, à force d'écouter des amis, des confrères, des justiciables, sa position a évolué : « J'ai compris qu'il y avait là un risque pour le fonctionnement de la justice et un risque pour les justiciables. Pour les justiciables, ce sont des journalistes de province qui m'ont aidé. Ils m'ont dit : "la retransmission, ne serait-ce que d'un petit fait-divers, comme ça, à l'audience correctionnelle, dans une ville de province, pour celui qui comparaîtra, c'est terrible. C'est une stigmatisation à vie. Ce n'est pas du tout comme le procès historique considérable qui est dans l'actualité. Ce choix-là, ça sera pour nous un problème de conscience constant". »

L'ancien avocat aborde aussi la question cruciale des victimes : « Je me suis dit : "le visage de la victime… le cameraman inévitablement guettera LE moment. Le soir, on prendra obligatoirement le moment le plus humain pour elle, c'est le plus déchirant". »

Robert Badinter développe la suite de sa réflexion en ces termes : « Et puis les témoins. Ils sont presque bloqués à certains moments. Alors parler, savoir qu'on est enregistré. Je ne parle pas des menaces […] Savoir qu'on est enregistré, qu'on se verra le soir. La justice, c'est dans le procès, la recherche de la vérité, et la recherche de la justice elle-même vient d'une décision juste. Alors la recherche de la vérité risque d'être entamée. Elle risque d'être bloquée. Je vois l'avantage pour la télévision. Je vois l'avantage pour les médias, mais je vois surtout le risque pour la justice elle-même et pour les justiciables. »

« Oui pour l'enregistrement historique ! »

Au terme de cette réflexion, Robert Badinter a annoncé ce qu'il proposerait au vote à l'Assemblée nationale : « Alor, oui pour l'enregistrement historique ! Celui qu'on filmera, qu'on enregistrera, qu'on gardera accessible pour les historiens, 20 ans plus tard. Je le proposerai au Parlement qui en débattra. 20 ans plus tard, alors là, et bien, ma foi, on pourra le projeter comme on pourrait projeter aujourd'hui les procès de la Guerre d'Algérie. La passion est tombée, mais on ne pourra le faire qu'avec l'autorisation judiciaire ».

Le texte finalement adopté a porté à 50 ans la période durant laquelle le procès reste inaccessible au grand public, mais néanmoins consultable par les historiens. Le premier procès à être filmé fut celui de l'ancien bourreau nazi Klaus Barbie en 1987. Les rushs de ce procès sont conservé à titre patrimonial par l'Institut national de l'Audiovisuel.

Pour aller plus loin :

1987, Klaus Barbie, un procès filmé dans son intégralité. (Article)

Géopolis : Robert Badinter à propos des procès filmés. (vidéo, 27 novembre 1994)

Antenne 2 édition de la nuit : débat Jean-Paul Ollivier (Télé 7 jours) et Paul Lefèvre. Pour ou contre les retransmissions télévisées de procès (à la suite d’un sondage : 70% des Français étaient pour). (1983)

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