Aller au contenu principal
18 juillet 1970, l'interview "pas très fairplay" d'Eddy Merckx

18 juillet 1970, l'interview "pas très fairplay" d'Eddy Merckx

Ce jour-là, Eddy Merckx est heureux ! Le cycliste belge vient de remporter son second Tour de France, une joie que ne parviendra pas à gâcher ce journaliste français qui aimerait visiblement faire sortir le champion de ses gonds... peine perdue !


Par la rédaction de l'INA - Publié le 13.07.2020 - Mis à jour le 13.07.2020
Portrait d'Eddy Merckx - 1970 - 05:07 - vidéo
 

Eddy Merckx vient de remporter haut la main l'une des plus belles courses cyclistes au monde mais c'est sans compter sur Richard Diot, le reporter envoyé sur place par le magazine Sports dimanche pour interviewer le coureur, qui depuis 1965, accumule tous les succès, au point d'être surnommé "le cannibale" tant sa voracité de victoires est grande. Cette réussite fait grincer des dents du côté français et cette interview laisse transparaître un sentiment de jalousie, à peine voilée...

"Vous ne craignez pas à la longue de froisser un peu les gens ?"

Si Richard Diot commence par reconnaître l'envergure du champion, "jamais un homme n'a dominé un sport comme vous le dominez", il poursuit sur un ton moins admiratif où surgit une pointe d'agacement,"vous ne craignez pas à la longue de froisser un peu les gens ?" Cette pique ne semble pas déstabiliser le cycliste qui répond stoïquement, "le principe du sport, c'est que le meilleur gagne. Lorsqu'on est le meilleur, on doit gagner". Le journaliste insiste pourtant, "certains disent que vous en faites un peu trop !", Merckx répond imperturbable, "je n'en fais pas un peu trop. Je crois que je fais le maximum."

Diot poursuit, "on dit que vous en faîtes trop car si un jour vous aviez une défaillance - ce qui vous arrivera peut-être - les autres ne vous feront absolument plus de cadeaux… Vous ne craignez pas un peu cette défaillance ?"

"Ben écoutez, non je crois qu'on ne se fait jamais de cadeaux, alors…"

 "Qu'est-ce qui vous pousse à faire du cyclisme ? L'argent ? La gloire ? L'orgueil ?"

Le journaliste lui pose ensuite une étrange question à propos de ses motivations, et il n'est pas question de sport, "Eddy Merckx, qu'est-ce qui vous pousse à faire du cyclisme ? L'argent ? La gloire ? L'orgueil ?"

Le champion, toujours d'un calme olympien dénie, "Absolument pas. J'ai commencé à faire du cyclisme car j'aimais le vélo. Et puis après, j'en ai fait mon métier. Il faut bien vivre et il y a un gain d'argent, c'est indéniable mais je ne cours absolument pas pour l'argent."

Visiblement peu satisfait de cette réponse, le reporter affirme, "Vous aimez l'argent !

Eddy Merckx, d'une zénitude extrême va une fois de plus répondre avec tact, "J'aime l'argent… ben, je crois que lorsqu'on est professionnel, il faut de l'argent pour vivre et comme dans tous les métiers, on essaye de s'améliorer le mieux possible et d'aller le plus loin le mieux possible. Je crois que dans la vie, c'est le but de tous les hommes".

"On vous dit très orgueilleux, c'est exact ?"

Loin de calmer les ardeurs du journaliste, cette réponse appelle une question encore plus pernicieuse, à la limite de l'incorrection, "on dit que vous êtes très orgueilleux, c'est exact ?"

D'une voix douce et posée, le double vainqueur du Tour de France, affronte cette accusation sans ciller, "je ne crois pas que je sois très orgueilleux, j'aime la victoire. Je vous dis pourquoi j'aime la victoire. Parce que je travaille beaucoup. Et de ce fait, quand on travaille beaucoup, on a le droit d'être difficile sur soi-même et les autres"

"A ce rythme Eddy Merckx, vous vous accordez encore combien d'années ?", interroge le journaliste, espérant sans doute qu'il lui annonce la fin rapide de sa carrière.

"Oh, je n'en sais absolument rien. Ça ne m'intéresse pas pour le moment. Ce que je veux, c'est rouler jusqu'au moment où je sentirai que le physique ne pourra plus trop donner et le jour où ça deviendra trop dur, je m'arrêterai…"

Le journaliste lui conseille ensuite de courir à la manière d'Anquetil, pour espérer durer plus longtemps !

 "Je ne sais pas si c'est vrai, premièrement, ça ne m’intéresse pas de courir jusqu'à 35 ans ! Ce qui m'intéresse, c'est de courir jusqu'au moment où je déciderai que ce sera ainsi. Et puis après, ce sera à moi de me décider d'arrêter, et je m'arrêterai !"

"Certains disent que vous avez un sujet médical."

Le journaliste l'interroge sur son meilleur souvenir ? Une question enfin sympathique... Le coureur évoque sa première victoire de l'année précédente, en 1969, sur le Tour de France, "c'est ma plus belle victoire. Pour moi c'est la plus belle course (…) c'est la victoire qui fait le plus plaisir".

Et son plus mauvais souvenir ? s'enquiert le reporter.  Le cycliste déclare que c'est son éviction du Tour d'Italie quelques mois plus tôt. [En mai 1969, alors qu'il porte le maillot rose du Tour d'Italie en ayant gagné quatre étapes, il est déclaré positif au contrôle anti-dopage. Exclu de la course à Savone, il s'estime victime d'une injustice et reçoit le soutien de plusieurs coureurs. Gimondi, notamment qui refusera de porter le maillot rose après lui. Sa suspension sera finalement levée au "bénéfice du doute" lui permettant de participer au Tour et de le gagner.]

Le journaliste est visiblement satisfait cette fois car cette réponse va lui permettre d'en arriver enfin où il le souhaitait, sur la question de son dopage présumé, "certains disent que vous avez un sujet médical. Que veulent-ils dire à ce sujet ?"

Merckx, nullement décontenancé explique, "vous savez, il y a toujours des mauvaises langues (…) Je crois que je suis droit dans mes souliers et que je n'ai absolument rien à me reprocher et je crois que si tout le monde faisait le métier comme je le fais, beaucoup de coureurs arriveraient plus loin que là où ils arrivent".

"Il n'y a pas de dissentiments dans l'équipe ? "

Mais le journaliste n'en a pas fini avec lui, endurant dans son inquisition à l'image d'un grimpeur dans un col de montagne, il poursuit : "est-ce que vous exigez beaucoup de vos équipiers ?"

Mais Eddy Merckx possède lui aussi une très grande endurance et une très grande patience et se justifie de son comportement, sans pour tant tomber dans le piège tendu par le journaliste. S'il reconnait demander beaucoup d'efforts à ses équipiers, il ajoute "mais je crois qu'ils ne le regrettent pas".

Mauvaise réponse... Richard Diot insiste, "ils sont tous satisfaits ? Il n'y a pas de dissentiments dans l'équipe ? Des tiraillements, disons ?"

Le coureur, répond placidement, "ben, je ne le pense pas… parce qu'être dans une équipe à contre-cœur, c'est impossible !"

L'interview s'achève, alors qu'un supporter, visiblement admiratif de l'exploit du jeune champion, lui demande un autographe qu'il signera gentiment, comme il avait répondu à cette interviewe très orientée.

Eddy Merckx reste à ce jour l'un des coureurs professionnels les plus titrés de l'histoire du cyclisme. Entre 1965 à 1978, Eddy Merckx a remporté 625 courses (525 victoires sur route, 98 succès sur la piste et deux bouquets en cyclo-cross). Un rcord inégalé à ce jour "l'Ogre de Tervueren", un autre de ses surnoms a notamment gagné onze Grands Tours (cinq Tours de France, cinq Tours d'Italie et un Tour d'Espagne). Seul Jacques Anquetil a fait mieux, avec treize podiums.


S'orienter dans la galaxie INA

Vous êtes particulier, professionnel des médias, enseignant, journaliste... ? Découvrez les sites de l'INA conçus pour vous, suivez-nous sur les réseaux sociaux, inscrivez-vous à nos newsletters.

Suivre l'INA éclaire actu

Chaque jour, la rédaction vous propose une sélection de vidéos et des articles éditorialisés en résonance avec l'actualité sous toutes ses formes.