Agnès Varda dirigeant le tournage de la fiction «Nausicaa» en 1970. Crédits : INA.
INA - Comment est né ce projet d’exposition ?
Rosalie Varda - Agnès a toujours été très proche de la Cinémathèque. Après son décès en 2019, Frédéric Bonnaud, le Directeur de la Cinémathèque française, nous a proposé d’envisager une exposition autour de la vie d'Agnès, pas uniquement sur son parcours de cinéaste. Elle a emménagé rue Daguerre à Paris en 1951… Il y avait énormément de choses à ranger, à trier. Nous avons donc pris le temps d’explorer toutes ces archives, ce qui nous a permis de trouver des inédits et d’enrichir l’exposition. Nous avons engagé un archiviste de l’Institut pour la photographie des Hauts-de-France, qui nous a aidé à répertorier plus de 25 000 négatifs. C’était un travail colossal ! En parallèle, avec mon frère Mathieu Demy, nous nous sommes attelés aux archives de la société historique Ciné-Tamaris, qui a été créée par Agnès elle-même pour produire ses films. Ce travail n’est d’ailleurs pas terminé. Vous ouvrez une boîte, vous trouvez un objet, un document, une note, une photographie… C’est sans fin. Puis, Frédéric Bonnaud nous a proposé Florence Tissot, adjointe aux expositions à la Cinémathèque française, comme commissaire d'exposition. Tout cela est arrivé assez naturellement.
Mon frère et moi militons pour la transmission. Je pense que cette exposition permet aussi à des visiteurs qui ne sont pas forcément cinéphiles de venir partager le parcours de vie, les engagements, les idées et cette forme de liberté qu’incarne Agnès Varda. Je pense que ça parle énormément aux jeunes générations. Je crois que cette liberté a quelque chose de très contemporain. Aujourd’hui encore, elle est totalement dans l’air du temps. Elle est intensément contemporaine.
INA - Justement, comment expliquez-vous cette démarche artistique assez atypique qui la caractérise ?
Rosalie Varda - Je crois que le maître mot est « liberté » au sens le plus global. Très jeune, elle s’émancipe de sa famille pour devenir photographe. Rien de la disposait à cela. Puis elle intègre la troupe du Théâtre national populaire de Jean Vilar dont elle devient le photographe officiel. Dès 1954, elle réalise son premier long métrage, La Pointe Courte, qu’elle tourne en muet dans des conditions financières de pauvreté totale. Il y a donc cette liberté poussée par ses envies et sa curiosité. Tout vient de là.
INA - Témoin engagée de son siècle, Agnès Varda n’a cessé de raconter le monde par le prisme de l’intime. Qu’est-ce qui l’attirait tant chez les autres ?
Rosalie Varda - Elle s’est toujours intéressée aux individus. Elle filme ses voisins, des artisans, des commerçants, des non-acteurs. Elle a toujours eu cette proximité avec les « anonymes » et les laissés-pour-compte de la société. Je pense que tout cela parle aux jeunes générations. Ils se disent : « Cette femme, elle a de l’humanité, elle a du lien, elle a de l’empathie ». C’est sans voyeurisme et toujours bienveillant ; elle était intéressée par les autres. Pour autant, comme beaucoup d’artistes, elle avait un côté narcissique. Elle a beaucoup tourné autour de sa propre image, elle se mettait en scène. Mais l’un n’empêche pas l’autre. Les gens qui la croisaient lui disaient « merci pour ce que vous êtes », et pas « merci pour vos films ». Ça dit beaucoup de chose sur le personnage. Elle a incarné une forme de référence. Elle n’était plus féministe, elle incarnait le féminisme. Et ça, c’est très intéressant.
INA - Avait-elle conscience d’être une icône ?
Rosalie Varda - Oui, mais la reconnaissance de ses pairs arrive assez tard, finalement. Elle a eu un César d’honneur en 2001, une Palme d’honneur en 2015 et un Oscar d'honneur en 2017. Elle est décédée en 2019. Mais elle a savouré, comme elle a savouré vieillir. Elle s’est amusée d’elle-même comme avec ces petites caricatures de Christophe Vallaux qui la dessine comme une petite boule avec ses cheveux bicolores. Elle a voulu jouer de ça aussi en disant : « La vieillesse n’est pas obligée d’être triste ». On peut garder cette liberté d’esprit, cette curiosité, cette fantaisie. Je crois que l’on retrouve cette fantaisie dans toute son œuvre. Et cette facette n’était pas vraiment perçue par le métier. L’artiste JR, qui a travaillé avec sur Visages villages disait d’ailleurs : « On a 55 ans d’écart, mais elle est plus jeune que moi ». Quand on parle le même langage, l’âge ne compte plus.
INA - Comment vit-on avec une mère qui fait partie du panthéon du cinéma ?
Rosalie Varda - Très bien ! Je n’ai jamais souffert d’être la fille d’Agnès Varda ou de Jacques Demy. J’ai choisi de travailler avec eux. J’ai été costumière sur plusieurs de leurs films. Il y avait un rapport très sain. D’un côté, il y a le deuil de ma mère, de l’autre le travail que j’accomplis. Aujourd’hui, je me consacre pleinement au patrimoine et la transmission du catalogue des films d’Agnès Varda et Jacques Demy. Chaque petit objet de l’exposition trouve un écho avec ma propre vie. Tout cela m’évoque des moments de vie, des souvenirs. Je suis évidemment émue quand je vois la bague portée par Corinne Marchand dans « Cléo de 5 à 7 ». J’ai choisi d’arrêter mon métier pour m'occuper de la société et accompagner Agnès dans les quinze dernières années de sa vie. Tout ceci pour moi est aussi une matière de travail qu’il faut faire vivre et transmettre aux nouvelles générations.
VIVA VARDA !
Une exposition en partenariat avec l'INA
Du 11 octobre 2023 au 28 janvier 2024 à La Cinémathèque française
51, rue de Bercy, 75012 Paris
Métro Bercy, lignes 14 et 6