King Kong, 2001, l’Odyssée de l’espace, Star Wars, Tron, Matrix ou Avatar : en plus d’être des films de science-fiction, ils ont tous en commun des méthodes de tournage novatrices. L’une des plus anciennes et célèbres reste le fond vert. Pourtant, depuis 2020, grâce au moteur de développement Unreal Engine, il est remplacé par le plateau LED. Ce moteur issu du jeu vidéo annonce une nouvelle révolution sur les plateaux de cinéma.
En 2020, le tournage de The Mandalorian a fait appel aux équipes d’ILM, Industrial Light & Magic, la société d'effets spéciaux fondée par Georges Lucas en 1975, connue pour avoir propulsé la trilogie Star Wars. Au moment du tournage de The Mandalorian, l’idée de créer les décors dans des studios de cinéma à Los Angeles est impossible, malgré un budget de 15 millions de dollars par épisode. Pour remédier au problème, les équipes ont recouvert les murs et le plafond d’écrans LED à la place des fonds verts. Quand le clap retentit, l’acteur de The Mandalorian joue bien au milieu des décors désertiques de la planète Nevarro, les paysages s’affichant en temps réel sur ces écrans. Pour que la caméra le filme dans ce désert, les concepteurs en effets spéciaux ont créé tous les décors en amont. En plus, à chaque prise, les designers peuvent rejouer le crépuscule à volonté, adapter la lumière pour qu’elle se reflète sur le costume du Mandalorian et de Grogu. Cette technologie s’appelle le StageCraft. Il permet d’afficher en temps réel le décor, préalablement filmé ou modélisé en 3D, et diffusé en 6K. Derrière cette révolution, le moteur Unreal Engine, développé par l’éditeur de jeux vidéo Epic Games, célèbre pour avoir lancé Fortnite en 2017.
L’utilisation sur les plateaux de tournage des professionnels des effets spéciaux est appelée à se reproduire grâce à Unreal Engine 5. Celui-ci va devenir omniprésent bien au-delà du jeu vidéo, explique Stéphane Chung, responsable des formations en motion design à l’INA : « Depuis la version 4, Epic Games affiche un nouveau positionnement. Il a intégré des fonctionnalités qui ne sont pas dédiées au jeu vidéo mais au plateau de tournage, comme la captation caméra, l’intégration de décors en temps réel, la possibilité d’avoir des effets dans la caméra virtuelle en temps réel. Les effets spéciaux les utilisent déjà. Et avec la démonstration de la version 5, les premières images sont d’une qualité telle que le champ d’application dépasse largement les besoins du jeu vidéo. »
Le changement majeur vient avec la notion de temps réel qui va s’exporter du jeu vidéo à la production, et profiter à toute la création vidéo comme l’explique Stéphane Chung : « Ce qu’Unreal apporte au motion design c’est une autre façon de travailler. Le fait d’avoir un outil temps réel permet de tester, de visualiser immédiatement le rendu de la scène, et non pas de préparer les choses, de faire le preview sur juste une image et d’attendre le rendu définitif pour voir sur la séquence animée ce que cela va donner. Là on peut le voir immédiatement, donc on peut modifier pendant qu’on travaille sans se soucier du temps de rendu à la fin. Et le métier de motion designer c’est de faire des projets qui sont souvent courts et avec des rendus que l’on a besoin de faire rapidement ».
Le bouleversement en temps réel n’est pas sans rappeler une précédente révolution, celle du montage quand dans les années 90, Avid Technology remplaçait les ciseaux et la colle par un ordinateur, et permettait d’afficher instantanément le découpage d’une scène filmée.
Ce qui faisait figure d’innovation lors du tournage de The Mandalorian préfigure donc de nouveaux modes de création qui nécessitent d’importants investissements. La France n’a pas attendu. Elle s’est déjà dotée de ses premiers plateaux virtuels. Stéphane Chung précise bien qu’il ne suffit pas de s’équiper de plateaux virtuels pour profiter de ces innovations, il faut revoir sa façon de travailler : « auparavant les effets spéciaux étaient travaillés en post-production. Dorénavant, il faudra les prévoir en amont pour pouvoir les intégrer et intervenir dessus pendant le tournage. »
Epic Games a pensé aux professionnels de l’audiovisuel, du motion design, des effets visuels, dits VFX, et plus seulement aux développeurs de jeu vidéo. Pour avoir initié les étudiants, Stéphane Chung constate que « l’abord est assez facile. Certaines fonctionnalités ne nécessitent pas de savoir développer. Il reste évidemment des utilisations assez complexes pour les développeurs mais les nouveaux utilisateurs issus de la production pourront s’en emparer. En tournage sur un plateau, la virtualisation des décors ne nécessite pas de savoir développer pour cela il suffit de récupérer ce qui a été fabriqué pour les intégrer et calibrer sa caméra. »
Pour la première fois à INA sup, l’apprentissage sur Unreal Engine est intégré au programme des étudiants en motion design en plus de ceux de la classe alpha. Après une semaine de pratique, les élèves sont capables de développer des scènes et de créer des décors. Une compétence précieuse et très recherchée.