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Non, la liberté d'expression ne nous autorise pas à tout dire sur les réseaux sociaux

Non, la liberté d'expression ne nous autorise pas à tout dire sur les réseaux sociaux

La liberté d'expression est la même en ligne et dans la vie réelle. Maître Amaury de Saint Amand, avocat à la cour et spécialiste en droit de la propriété intellectuelle, nous explique les limites et les garanties. Il est formateur à l’INA depuis 2015 notamment pour des formations relatives au droit à la liberté d’expression, au droit de l’audiovisuel, de l’internet et des usages numériques.

Propos recueillis par Sylvie Lartigue - Publié le 13.10.2021 - Mis à jour le 09.11.2021
Photo de cottonbro provenant de Pexels

Liberté fondamentale inscrite notamment dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, la liberté d'expression est brandie assez régulièrement sur les réseaux sociaux, sur les plateaux télévisés, pour pouvoir exprimer et défendre son opinion en toute impunité. Derrière cette invocation, connaissons-nous bien le cadre juridique de cette liberté fondamentale ? Maître Amaury de Saint Amand, avocat à la cour et spécialiste en droit de la propriété intellectuelle, nous répond. Il intervient comme avocat notamment dans des dossiers en lien avec la propriété intellectuelle, le numérique, les droits de la personnalité et protection des données personnelles.

Il est par ailleurs formateur au sein de l’INA depuis 2015 notamment pour des formations relatives au droit à la liberté d’expression, au droit de l’audiovisuel, de l’internet et des usages numériques.

L'INA. - Peut-on tout dire sur les réseaux sociaux et sur internet ?

Maître Amaury de Saint Amand. - La réponse est non, on ne peut pas tout dire. Quand on dit « peut-on tout dire » cela renvoie à la notion de liberté d’expression et de communication. Oui, il y a une liberté d’expression sur internet et les réseaux sociaux qui est consacrée par des textes internationaux et par notre droit interne. Dans une société démocratique, cette liberté d’expression doit pouvoir être une réalité et ne pas être entravée arbitrairement. Une liberté oui, mais une liberté conditionnée.

Quelles sont les limites à la liberté d’expression ?

On peut porter atteinte à la liberté d’expression de plusieurs manières. Tout d’abord, par la diffamation : c’est-à-dire le fait d’imputer publiquement un fait précis qui porte atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne. La diffamation est sanctionnée par la loi sur la presse, d’1 an de prison et 45 000 euros d’amende. L’injure qui est le fait de proférer des propos outrageants à l’égard d’une personne est condamnable. Enfin, le dénigrement de produits et de services. Attention, car les entreprises peuvent répliquer sur la base de la responsabilité civile.

Il y a des atteintes très graves pénalement sanctionnées : la haine raciale et l’apologie du terrorisme

Ce sont des limites qui font que l’on ne peut pas tout dire sur internet et les réseaux sociaux. Et puis il y a d’autres atteintes, lorsque nous nous exprimons nous pouvons transmettre des contenus protégés par des droits relatifs à la propriété intellectuelle. A travers l’usage nous pouvons atteindre d’autres droits encore. Ainsi on peut évoquer les atteintes aux droits de la personnalité lorsque l’on viole la vie privée, le droit à l’image, l’on divulgue un mail contenant des données à caractère personnel.

Nous voyons donc bien qu’il existe un grand nombre d’atteintes possibles, et cette énumération peut faire peur. Il existe évidemment des garanties et un espace de liberté.

Quelles sont les garanties à la liberté d’expression ?

Dans le cas de la diffamation, par exemple, il existe des exceptions à son exercice : si ce qui est dit correspond à la vérité et que l’on peut le démontrer, à ce moment-là c’est de l’information et non plus de la diffamation. Dans le cas de l’injure, si la personne est provoquée, elle est incitée à répondre à une attaque par une injure. Dans la mesure où l’injure n’est qu’une réponse à une provocation, l’accusation d’injure ne donnera pas lieu à condamnation. S’agissant du dénigrement de produits de services d’une entreprise, des exceptions existent : des associations dont la mission de protection les conduit à dénoncer régulièrement des abus commis causant des préjudices, elles ne seront pas condamnées : tel fut le cas de jurisprudence concernant des associations , comme Greenpeace.

Par ailleurs, la liberté de création protège assez largement la liberté d’expression notamment les humoristes, des caricaturistes, des chansonniers compte tenu des lois du genre. On ne peut pas interdire la satire ou la caricature quand bien même elles égratigneraient les personnes visées, a fortiori quand c’est dérisoire. Attention également à l’atteinte à la présomption d’innocence. Il y a un procès médiatique ou numérique avant même que les décisions judiciaires aient été prononcées. En ce sens, les échanges sur les réseaux sociaux peuvent déjà porter atteinte à une personne avant tout jugement. La loi s’applique aussi bien sur les réseaux sociaux que dans la vie réelle. Il n’y a pas de frontière. Le médium a changé mais les règles sont toujours les mêmes.

Pourquoi assiste-t-on à un développement des formations sur le droit numérique ?

Suite aux attentats de 2015, il y a eu une réaction des autorités publiques, et l’INA est partie prenante de cela. On s’est rendu compte que l’apologie du terrorisme, la fragilité de certains publics nécessitaient une éducation aux médias. La directive européenne SMA, (service des médias audiovisuels) du 14 novembre 2018, fixe une obligation de formation des Etats membres de l’Union à l’éducation aux médias qui doivent prendre des mesures utiles avant le mois de décembre 2022 et ensuite de manière continue.

Les pouvoirs publics ont l’obligation de se former, et l’INA pour ce qui la concerne a développé des formations conformément à cette obligation nationale.

Pourquoi venir se former au droit numérique ?

Les formations que je donne concernent les personnes qui désirent se former sur le plan juridique à la liberté d’expression, au respect des contenus numériques dans les usages, au règles applicables au droit à l’image, au droit des données à caractère personnel, au droit de l’audiovisuel. Ceux qui viennent se former ont déjà conscience que l’on ne peut pas tout faire. C’est l’évolution très rapide de ces sujets, la recherche de maîtrise de la complexité de règles applicables qui les motivent lors de leur venue à l’INA.

Ils s'intéressent également à ces sujets car ils les concernent personnellement, au travail comme dans leur quotidien, pour eux-mêmes et leur entourage.

La formation à l’INA permet aussi de confronter des idées, de mettre en adéquation les principes juridiques énoncés avec l’expérience concrète et les usages spécifiques des professionnels à qui on s’adresse. Ils ont besoin de savoir si leur pratique quotidienne est conforme aux règles. Avant la formation, nous prenons le temps de leur demander quelles questions ils se posent. Par exemple, comment faire prendre conscience aux services du marketing et communication ce qu’il faut avant d’utiliser un contenu. Avec les formations, ils reviennent avec de bonnes pratiques et peuvent prêcher la bonne parole, conscients des risques juridiques existants. Durant les stages, il y a un échange de pratiques qui est stimulant !

Quand il y a des atteintes à la liberté d’expression sur un site internet. Qui sont les responsables ?

Sur un site internet ce sera le directeur de la publication qui sera directement responsable de ce qui est dit. Les hébergeurs et des fournisseurs d’accès obéissent aussi à des obligations juridiques en la matière.

Comment sont protégés les lanceurs d’alerte ?

Ils sont protégés notamment par le droit du travail, et dans les administrations et collectivités territoriales par les règles applicables aux agents publics. Après avoir pris des précautions et s’ils ne sont pas entendus par leur hiérarchie, ils peuvent alerter le public quand l’intérêt général est en cause. Et cela peut se faire éventuellement via les réseaux sociaux.

Les délits sont toujours valables dans des espaces de discussions privées ?

Oui, il y a des délits de diffamation et d’injure non publics. Ils sont sanctionnés par des peines qui vont de l’amende pour la diffamation à la contravention pour l’injure. Par exemple, un sms entre deux personnes peut être l’occasion d’un procès pour injure non publique si on démontre une intention de nuire. C’est assez simple à démontrer.

Les procès de Nadia Daam et de Mila, qui avaient reçu des menaces de mort proférées en ligne marquent-ils un tournant dans l’action en justice face aux dérives en ligne ?

Progressivement il y a un effet dissuasif. Ces affaires sont l’occasion de prises de conscience. On se rend compte qu’il n’y a pas une liberté pleine et entière. Ces procès font la démonstration que certains propos illicites peuvent entraîner des condamnations. De plus en plus de personnes comprennent que les règles juridiques s’appliquent sur internet, comme dans la vie réelle.

Au sein de votre cabinet, observez-vous une croissance des plaintes pour des propos diffamatoires, injurieux tenus sur internet et les réseaux sociaux ?

Oui, il y a une évolution. Si on prend le cas des mineurs, la maîtrise du droit par les jeunes générations n’est évidemment pas suffisante. Souvent connectés, et sous couvert d’anonymat, certains tiennent des propos injurieux parfois diffamants avec des conséquences dramatiques pour ceux qui sont visés allant jusqu’au suicide. Mon expérience aujourd’hui me permet de constater que de nombreux les parents n’hésitent plus à engager des actions dans l’intérêt de leurs enfants, même contre des parents amis. Ils sont plus vigilants.

Un autre élément important, c’est la prise de conscience des institutions scolaires qui prennent le taureau par les cornes face à ces situations. Ils nous alertent, nous avocats, pour savoir comment discipliner leurs élèves, gérer les crises liées à ces abus en associant les parents d’élèves, les syndicats de professeurs et la direction.

Twitter, Facebook, Reddit, la virulence des débats sur ces plateformes est régulièrement dénoncée. Ces plateformes sont Américaines. Que peut la justice française ?

D’abord on peut effectuer un signalement en ligne, directement sur les plateformes pour déclarer que l’on a subi une atteinte. Dans ce cas c’est la plateforme qui prend les dispositions pouvant aller jusqu’à la suppression du contenu. Peu importe la nationalité de la plateforme, dès lors qu’elle est accessible depuis la France, on peut engager la responsabilité des auteurs, et celle des plateformes de façon à les contraindre à supprimer les contenus illicites voire de communiquer des données de connexion des personnes suspectées. Les propos engagent la personne qui en est l’auteur. Dès lors qu’il y a un dommage causé en France, le premier responsable ce n’est pas Twitter, mais celui qui tient ces propos. Tout cela est prévu par nos lois et sanctionné par la jurisprudence des tribunaux français.

De plus, concernant ces acteurs, il y a la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 qui fixe une responsabilité a posteriori des hébergeurs et les FAI, qui doivent supprimer des contenus si une décision de justice les y contraint.

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