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«Je ne fais pas le spectacle, mais je vais leur chanter la Marseillaise» : les coulisses du concert annulé de Serge Gainsbourg à Strasbourg

«Je ne fais pas le spectacle, mais je vais leur chanter la Marseillaise» : les coulisses du concert annulé de Serge Gainsbourg à Strasbourg

A l’occasion de l’événement « Gainsbourg ? Affirmatif ! » qui se tient à Strasbourg et à Erstein avec l'INA, nous sommes allés à la rencontre du producteur Harry Lapp. C’était lui l’organisateur du concert avorté de Serge Gainsbourg le 4 janvier 1980 à Strasbourg suite à la pression d’anciens parachutistes qui protestaient contre la version reggae de la Marseillaise.

Propos recueillis par Benoît Dusanter - Publié le 07.10.2021

Le point levé, Gainsbourg entonne la Marseillaise.

Crédits : Christian Lutz-Sorg

L’INA. – Harry Lapp, vous étiez l’organisateur du concert que Serge Gainsbourg devait donner le 4 janvier 1980 à Strasbourg.

Harry Lapp. – Oui, je connaissais bien son directeur artistique. Serge Gainsbourg à ce moment-là était un peu « oublié ». Son album reggae « Aux armes et caetera » s’adressait à un public plus jeune. J’ai réussi à avoir la première date en province, à Strasbourg. A l’annonce du concert et de la mise en vente des billets, d’anciens parachutistes, mécontents de la Marseillaise en reggae, ont alors demandé au préfet d’annuler la représentation sous la menace, ce qu’il a évidemment refusé. Il y avait un climat très désagréable mais la billetterie fonctionnait très bien. Serge Gainsbourg était un provocateur, c’était une cible idéale pour des gens comme ça.

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Que s’est-il passé ensuite ?

Gainsbourg et ses musiciens logeaient dans un hôtel à deux pas de la salle, le Hall Rhénus. Vers 15h, un appel anonyme annonçait que des explosifs avaient été placés dans l’hôtel. C’est là que ça a commencé. Les pompiers et les policiers sont arrivés en trombe au moment où la troupe montait dans le bus pour aller faire les balances. Les musiciens jamaïcains ont pris peur. Ils ne comprenaient pas ce qu’il se passait. Gainsbourg lui était très relaxe par rapport à tout ça. Il a dit : « Moi j’en n’ai rien à foutre, je viens faire mon spectacle et je vais le faire ! ». Nous nous sommes rendus à la salle. Les musiciens ont fait les balances puis le public est entré. On a vu alors arriver une centaine de paras qui avaient tous acheté des billets de première catégorie pour être aux premières loges et semer la pagaille.

Comment était l’ambiance à l’intérieur ?

C’était tendu mais ils ne sont pas entrés en force ! Pendant que la salle se remplissait, ils chantaient la Marseillaise et se faisaient huer par le public. Dans les loges, je suis en discussion avec Serge. Il m’a dit : « Moi, j’ai des couilles, je ne vais pas me dégonfler devant des bidasses alcooliques ». Jane Birkin avait peur pour lui. Elle tremblait et lui disait « Serge, il faut annuler, c’est trop dangereux… ». Le problème est venu des Jamaïcains qui étaient de plus en plus effrayés et qui ont annoncé qu’ils ne voulaient pas jouer. Gainsbourg leur a répondu : « Vous êtes royalement payés, si je dis que vous jouez, vous jouez ». Tout ça a duré une bonne demi-heure pendant que les gens rentraient. Finalement, Serge a écouté Jane. C’est vraiment elle qui a été déterminante dans le choix de Gainsbourg. Quand le concert était prêt à démarrer, il a dit : « Je ne fais pas le spectacle, mais je vais leur chanter la Marseillaise ». Il est donc monté sur scène et il a chanté la Marseillaise a cappella.

Quelle a été la réaction du public ?

A ce moment-là, le public s’est retourné contre les paras. J’ai annoncé le remboursement et les gens sont partis déçus. Les paras sont partis au pas de marche, deux par deux. Il faut souligner qu’ils étaient en uniforme avec les bérets, ce qui est interdit quand on n’est plus en fonction dans l’armée. Je pensais qu’ils allaient garder leur billet en souvenir. Mais pas du tout. Ils sont venus se faire rembourser comme tout le monde. Gainsbourg qui était un gentleman m’a dit : « Tu me fais la note pour tous les frais et je t’enverrai un chèque ». Et c’est ce qu’il a fait. C’était un grand monsieur. L’événement a fait toutes les télés de France, l’album a explosé dans les ventes, et, au final, cet épisode lui a fait un gros coup de pub.

LA BIO EN BREF DE HARRY LAPP

Un parcours comme un roman ! Harry Lapp débute le 19 février 1970 en produisant Johnny Hallyday. C’est la fameuse nuit où il a eu un accident de voiture à Belfort et où Sylvie Vartan qui était avec lui a été blessée. Il avait rencontré Johnny quand il faisait son service militaire à Offenburg, à 30 km de Strasbourg. "J’avais 15-17 ans, je prenais ma mobylette et j’allais le voir quand il sortait de la caserne pour boire un coup. Je lui ai toujours dit : "Un jour j’organiserai un concert avec toi à Strasbourg". Le soir du 19 février 1970, il y avait 3000 personnes.

Par la suite, Harry Lapp aura un long parcours avec Indochine, Renaud, Charles Eli Couture, Murray Head, Charles Aznavour, Eddy Mitchel. Puis avec des artistes internationaux Ten Years After, Santana, Elton John, etc.

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Novembre 2021

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