L'implantation d'installations sportives détériore l'environnement. Crédits : Unsplash.
Fabien Archambault est maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Spécialiste de l'histoire du sport au XXe siècle, il a récemment publié Coups de sifflet. Une histoire du monde en onze matchs, Paris, Flammarion, 2022. Dans le cadre du Lundi de l’INA consacré aux rapports entre le sport et l’environnement, il explique comment le défi sportif s’appuie sur la destruction des écosystèmes. Pour ce faire, il parle de la Coupe du monde au Qatar mais évoque également l’exemple de la montagne qui passe d’«un espace à conquérir militairement à un espace à exploiter économiquement».
INA - Quel regard portez-vous sur les grandes compétitions sportives comme la Coupe du monde au Qatar d’un point de vue écologique ?
Fabien Archambault - Je crois que l’on demande beaucoup au sport. Ces compétitions restent assez rares. Que pèsent-elles face à l’activité industrielle globale ? Le sport est évidemment emblématique et symbolique, car il capte une attention médiatique imposante. Si cela ne prend pas le virage d’une transformation écologique profonde, alors on est devant un miroir aux alouettes. Au-delà des stades climatisés construis au Qatar, il faut regarder comment l’émirat s’est développé depuis une trentaine d’années. C’est là qu’est le problème selon moi. Par ailleurs, le principal pays qui pollue aujourd’hui avec la climatisation, c’est les États-Unis.
INA - Les sportifs doivent-ils montrer l’exemple ?
Fabien Archambault - La solution pourrait-elle venir des sportifs eux-mêmes ? C’est toute la question des transitions écologiques : fait-on appel à la bonne volonté des individus ou doit-il y avoir un cadre législatif contraignant ? Je crains que la contrainte ne soit obligatoire malheureusement.
INA - Votre intervention porte essentiellement sur la montagne. Pourquoi ?
Fabien Archambault - J’ai souhaité mettre en avant l’histoire de ce lien entre sport et environnement. Je me suis intéressé à la période d’avant. Celle où la nature était considérée comme une ressource à exploiter, un espace hostile à conquérir. La montagne me paraissait l’exemple le plus pertinent. Dans la culture occidentale, il y a un héritage romantique autour des espaces sauvages. Dès le XIXe siècle, les Anglais parlent de « conquête » de la montagne. Il y a eu un investissement de type nationaliste et guerrier des espaces de haute-montagne qu’il s’agissait de conquérir pour la gloire de la nation. C’est vrai pour l’Himalaya dès les années 1920. Il y a eu une course pour gravir les 14 sommets himalayens de plus de 8000m. Chaque pays a monté des expéditions présentées comme sportives, mais qui en réalité étaient militarisées. C’était une sorte de « guerre froide ». Les questions environnementales ne se posaient même pas.
INA - Et aujourd’hui ?
Fabien Archambault - Depuis les années 80, l’Himalaya est devenu un terrain de jeu pour gens fortunés avec tous les problèmes que cela peut poser. La question de la pollution est cruciale. Par exemple, l’eau de certaines sources situées à 6000m est polluée en raison des produits chimiques contenus dans les bouteilles d’oxygène que les alpinistes laissent sur place.
INA - Vous évoquez aussi le boom des stations de ski en France.
Fabien Archambault - Dans les années 60 et les années 80, des Plans blancs prévoient le développement d’infrastructures et de stations de ski dans les régions montagneuses françaises. Une partie des locaux refuse cette évolution tandis que les habitants des vallées voient cela comme des opportunités de développement économique. La solution française en matière de sport d’hiver a été maximaliste. On a construit des barres d’immeubles qui ne sont occupées que quelques semaines par an. Le système s’effondre d’autant plus que l’enneigement est chaque année moins pérenne. En France, toutes les politiques publiques d’aménagement pour les sports d’hiver ont balayé d’un revers de main les questions écologiques. Ce n’est pas le cas en Suisse qui a développé des stations beaucoup moins bétonnées. En 1992, Michel Barnier, alors président du comité olympique d’Albertville, se présentait comme un défenseur acharné de l’environnement. Il expliquait avoir fait appel à des paysagistes avant la construction des autoroutes. Vous jugerez par vous-même.
INA - Comment mesurer l’impact des sports d’hiver sur l’environnement ?
Fabien Archambault - Dans les années 70, avec le boom des sports d’hiver, le ski est présenté comme une pratique proche de la nature. C’est d’ailleurs en partie une des raisons de son succès. On va à la montagne pour être près de la nature et respirer le bon air frais. Or, il n’y a rien de pure ou d’authentique. Tout est artificiel : routes pour accéder aux stations, logements, remontées mécaniques, etc. Le ski a un coût écologique très important.