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1973 : « L'Archipel du Goulag », l'arme anti-soviétique

1973 : « L'Archipel du Goulag », l'arme anti-soviétique

Fin décembre 1973, paraissait à Paris « L'Archipel du Goulag » d'Alexandre Soljenitsyne. Une publication qui suscita un grand choc en Europe, en révélant au grand jour les crimes soviétiques.

 

Par Cyrille Beyer - Publié le 02.08.2018 - Mis à jour le 19.02.2024
 

En décembre 1973 paraissait L’Archipel du Goulag, du dissident soviétique Alexandre Soljenitsyne. Prix Nobel de littérature en 1970, il avait fini l’écriture de l’Archipel du Goulag dès 1968, mais, du fait de la force dénonciatrice de son ouvrage vis-à-vis du pouvoir soviétique et de son système concentrationnaire, il dut attendre avant de publier son livre en URSS.

Sauf qu'à l'été 1973, l'une de ses collaboratrices se suicide après avoir été arrêtée et interrogée plusieurs jours par le KGB. Celui-ci était ainsi entré en possession du manuscrit de Soljenitsyne. L'écrivain ne pouvait donc plus attendre. Il fallait publier le livre à l’étranger.

Avec L’Archipel du Goulag, Soljenitsyne témoignait des camps de travail soviétiques et apportait un impressionnant travail documentaire, riche en détails et en chiffres, sur la réalité de ce système répressif. Il en avait lui-même été la victime, arrêté et déporté au goulag pendant huit ans, de 1945 à 1953.

C’est à Paris que ce livre, l'un des plus importants du XXe siècle, vit le jour, grâce à l'aide de l'universitaire et éditeur russe Nikita Struve. L'ouvrage suscita, avant même sa traduction en français en juin 1974 par les éditions Le Seuil, une réaction passionnelle du monde politico-médiatique.

Le Parti communiste français critiqua ouvertement L’Archipel du Goulag. Lors d'une rencontre à Saint-Ouen, le 2 février 1974, le premier secrétaire du parti, Georges Marchais, commença par relativiser le poids des révélations faites par Soljenitsyne, arguant que « l'auteur russe évoque dans son livre des faits que le parti communiste de l'Union soviétique a lui-même dénoncés publiquement, il y a près de 20 ans et auxquels il a mis un terme ».

En plus de décrédibiliser ainsi l'intérêt historique de cet ouvrage au cœur de l'actualité et dont la teneur fragilisait la ligne idéologique du parti communiste, Georges Marchais choisissait l'attaque comme moyen de défense : « Le livre de Soljenitsyne constitue en même temps une agression si violente, si haineuse contre le socialisme, que l'auteur va jusqu'à justifier le comportement d'un ex-général soviétique passé au service de Hitler et dont l'armée s'est rendue coupable des pires exactions ».

Par cette accusation, Georges Marchais tentait d'établir une analogie entre le comportement du général Andreï Vlassov, militaire soviétique passé à l'ennemi nazi pendant la Seconde guerre mondiale par anti-stalinisme, et l'attitude de Soljenitsyne vis-à-vis de son pays, faisant de l'écrivain russe un traître. Posture mensongère et bien maladroite, quand on apprend, grâce à un article de Jacques Amalric dans Libération, que Soljenitsyne a combattu au sein de l'Armée rouge, avec valeur, puisque décoré, et qu'il ne doit son arrestation et son exil forcé au Goulag que pour avoir mis en doute, dans une lettre à un ami, les compétences militaires du « moustachu du Kremlin ».

L’Archipel du Goulag suscita au contraire une fervente passion chez de nombreux intellectuels progressistes. C'est un moment de bascule, qui permit définitivement à la gauche de rompre les amarres avec l'URSS, près de vingt ans après la répression de l'insurrection de Budapest par l'Armée rouge et les révélations de Khrouchtchev lors du XXe congrès du parti communiste sur les crimes staliniens.

C'est le sens de l'invective faite par André Glucksmann à François Cohen, journaliste de l'Humanité, sur le plateau de Ouvrez les guillemets : « Avez-vous essayé, vous qui êtes correspondant, d'aller en Union soviétique et de fouiller dans les archives? [...] Avez-vous renseigné les lecteurs français sur ce qu'il se passait en Union soviétique? Les camps de concentration, avez-vous un seul de vos articles qui en parle ? ».

André Glucksmann fut l'un des tous premiers, avec Jean Daniel, à prendre la défense d'Alexandre Soljenitsyne et à insister sur son rôle salutaire dans la dénonciation d'un régime dont la nature totalitaire était encore trop souvent méconnue du grand public dans les années 1970. Après la parution de L’Archipel du Goulag et des débats qui en ont résulté, la vision des Français sur les crimes de l'URSS ne fut plus jamais la même.

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